Si je fay quelque songe,
J’en suis espouvanté ;
Car mesme son mensonge
Exprime de mes maux la triste vérité.
La pitié, la justice,
La constance et la foy,
Cédant à l’artifice,
Dedans les cœurs humains sont esteintes pour moy.
En un cruel orage
On me laisse périr,
Et courant au naufrage,
Je voy chacun me plaindre et nul me secourir.
Félicité passée
Qui ne peux revenir,
Tourment de ma pensée,
Que n’ai-je, en te perdant, perdu le souvenir !
De ces couplets, le dernier surtout (fortune singulière !) a survécu durant deux siècles ; nos mères le savent encore et l’ont chanté. Léonard et La Harpe à l’envi l’avaient rajeuni en romance. Fontenelle a remarqué que les solitaires de Port-Royal le trouvèrent si beau, qu’ils le voulurent consacrer en le citant. Dans le commentaire de Job en effet (chap. XVII), à ce verset : Dies mei transierunt, cogitationes meæ dissipatæ sunt torquentes cor meum, « on pourrait peut-être, pour expliquer cet endroit, dit M. de Saci, qui aimait les vers bien qu’il eût rimé les Racines grecques, on pourrait se servir ici de ces petits vers qui en renferment le sens : Félicité passée… » Mme Guyon, dans ses Lettres spirituelles (la XXXe), s’est plue également à appliquer ce même couplet à l’amour de Dieu, dont elle croit voir qu’il n’y a plus trace autour d’elle. Les dévots tant soit peu tendres ont de la sorte adopté et répété, sans en trop presser le sens, ce refrain mélancolique, que les cœurs sensibles pourraient passer la moitié de leur vie à redire, après avoir passé la première moitié à goûter ces autres vers non moins délectables du même Bertaut :
Et constamment aimer une rare beauté
C’est la plus douce erreur des vanités du monde.
Le bon évêque a ainsi rencontré la double expression charmante de l’amour durable et de l’éternel regret. Il a dit quelque part encore en une complainte :