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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

Et ceux-ci encore, sur un embrassement de sa dame à un départ :

Si le premier baiser fut donné par coutume,
Le second, pour le moins, fut donné par amour.

Cette espèce de douceur et de sensibilité dans le bel-esprit n’est pas rare. Racine l’eut d’abord ; ses stances à Parthénisse (qu’on les relise) semblent dériver de l’école directe de Bertaut. L’un finissait presque du ton dont l’autre recommence[1].

Mais une qualité que je crois surtout propre à notre auteur, c’est une certaine note plaintive dans laquelle l’amour et la religion se rejoignent et peuvent trouver tour à tour leur vague expression touchante. Je cite, en les abrégeant, comme il convient, les quelques couplets, dont le dernier fait sa gloire :

Les Cieux inexorables
Me sont si rigoureux,
Que les plus misérables,
Se comparans à moy, se trouveroient heureux.

Mon lict est de mes larmes
Trempé toutes les nuits ;
Et ne peuvent ses charmes,
Lors mesme que je dors, endormir mes ennuys.

  1. Voiture lui-même a des éclairs de sensibilité dans le brillant. Un très bon juge en si délicate matière, M. Guttinguer, a fait ce sonnet, qui vaut mieux qu’un commentaire critique, et qui complète en un point le nôtre :

    À UNE DAME,

    EN RENVOYANT LES ŒUVRES DE VOITURE.

    Voici votre Voiture et son galant Permesse :
    Quoique guindé parfois, il est noble toujours.
    On voit tant de mauvais naturel de nos jours,
    Que ce brillant monté m’a plu, je le confesse.

    On voit (c’est un beau tort) que le commun le blesse
    Et qu’il veut une langue à part pour ses amours ;
    Qu’il croit les honorer par d’étranges discours ;
    C’est là de ces défauts où le cœur s’intéresse.

    C’était le vrai pour lui que ce faux tant blâmé ;
    Je sens que volontiers, femme, je l’eusse aimé.
    Il a d’ailleurs des vers pleins d’un tendre génie :

    Tel celui-ci, charmant, qui jaillit de son cœur :
    « Il faut finir mes jours en l’amour d’Uranie. »
    Saurez-vous comme moi comprendre sa douceur ?