Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/573

Cette page a été validée par deux contributeurs.
569
ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

Hélas ! s’il te souvient, amoureuse Déesse,
Et si quelque douceur se cueille en le baisant,
Maintenant que je sors pour baiser ma maîtresse,
Que l’argent de ton front ne soit pas si luisant !

Ah ! la fable a menty, les amoureuses flammes
N’eschauffèrent jamais ta froide humidité :
Mais Pan, qui te conneut du naturel des femmes,
T’offrant une toison vainquit ta chasteté[1].

Si tu avois aimé, comme on nous fait entendre,
Les beaux yeux d’un berger de long sommeil touchez,
Durant tes chauds désirs tu aurois peu apprendre
Que les larcins d’Amour veulent être cachez.

Mais flamboye à ton gré ; que ta corne argentée
Fasse de plus en plus ses raïs estinceler :
Tu as beau descouvrir ta lumière empruntée,
Mes amoureux secrets ne pourras déceler.

Que de fascheuses gens ! Mon Dieu ! quelle coustume
De demeurer si tard en la rue à causer !
Ostez-vous du serein ; craignez-vous point la reume ?
La nuict s’en va passée, allez vous reposer.

Je vay, je vien, je fuy, j’écoute et me promeine,
Tournant toujours mes yeux vers le lieu désiré.
Mais je n’avance rien ; toute la rue est pleine
De jaloux importuns dont je suis esclairé.

Je voudrois être Roy, pour faire une ordonnance
Que chacun deust la nuict au logis se tenir ;
Sans plus les amoureux auroient toute licence :
Si quelque autre failloit, je le feroy punir.

.................

Je ne crains pas pour moy : j’ouvrirois une armée,
Pour entrer au séjour qui recelle mon bien ;
Mais je crains que ma Dame en peust estre blasmée ;
Son repos mille fois m’est plus cher que le mien…

Et le va-et-vient continue ; le poète pousse le guignon jusqu’au

  1. Munere sic niveo lanace (si credere dignum est)
    Pan, deus Arcadiæ, captam te, Luna, fefellit,
    In nemora alta vocans ; nec tu aspernata vocantem
    .

    (Virg., Georgiq., III.)