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déprécier Bertaut, et tout au contraire tenant à le faire valoir comme aimable dans les limites du vrai, je ne le combattrai qu’en choisissant chez ses autres devanciers des preuves de l’énergie, de la touche vraiment poétique ou de la forme de composition qu’il n’avait pas, qu’il n’avait plus, et j’en viendrai ensuite à ses propres qualités et nuances.

Ronsard, le maître, avait le premier en France retrouvé les muses égarées ; il y a dans son Bocage royal de bien beaux vers enfouis et qui n’ont jamais été cités ; ils expriment ce sentiment de grandeur et de haute visée qui fait son caractère. Le poète feint qu’il rencontre une troupe errante, sans foyer, avec des marques pourtant de race royale et généreuse : c’est la neuvaine des doctes pucelles. Il leur demande quel est leur pays, leur nom ; la plus habile de la troupe répond au nom de toutes :

MUSES.

........Si tu as jamais veu
Ce Dieu qui de son char tout rayonnant de feu
Brise l’air en grondant, tu as veu nostre père :
Grèce est nostre pays, Mémoire est nostre mère.

Au temps que les mortels craignoient les Déités,
Ils bastirent pour nous et temples et cités ;
Montagnes et rochers et fontaines et prées
Et grottes et forests nous furent consacrées.
Nostre mestier estoit d’honorer les grands rois,
De rendre vénérable et le peuple et les lois,
Faire que la vertu du monde fust aimée,
Et forcer le trespas par longue renommée ;
D’une flamme divine allumer les esprits,
Avoir d’un cœur hautain le vulgaire à mespris,
Ne priser que l’honneur et la gloire cherchée,
Et tousjours dans le Ciel avoir l’ame attachée[1].

Quelle plus haute idée des Muses ! ce sont bien celles-là qu’a courtisées Ronsard. Marot et les Gaulois d’auparavant s’en seraient gaussés, comme on dit.

Bertaut, esprit noble et sérieux, sentait cette poésie, mais il n’y atteignait pas. Dans des stances de jeunesse, à son moment le plus vif, s’enhardissant à aimer, il s’écrie :

Arrière ces désirs rampans dessus la terre !

  1. Dialogue entre les Muses deslogées et Ronsard.