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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

lait de la sorte un pourpoint dont le devant avait environ deux doigts de velours et rien sur le dos, nihil ou nichil-au-dos ; et ce mot s’appliquait de là à toutes les choses qui ont plus de montre que d’intérieur. Le caustique Malherbe trouvait ainsi à la journée de ces bons mots redoutables, et qui emportaient la pièce : c’est un rude accroc qu’il a fait en passant aux deux doigts de velours du bon Bertaut[1].

Ce qu’en retour Bertaut pensait de Malherbe, je l’ignore ; mais il a dû éprouver à son endroit quelque chose de pareil à ce que Segrais éprouvait pour Boileau, tout ménagé par lui qu’il était. Il devait sentir, même sous la caresse, que l’accroc n’était pas loin.

Malherbe n’a lâché qu’un mot sur Bertaut, et à demi indulgent si l’on veut, tandis qu’il a biffé de sa main tout Ronsard, et qu’il a commenté injurieusement en marge tout Desportes. Tout cela est proportionné au rôle et à l’importance. Plus on se sent sévère contre Ronsard, plus on doit se trouver indulgent pour Bertaut qui est un affaiblissement, et qui, à ce titre, peut sembler faire une sorte de fausse transition à une autre école.

Je dis fausse transition, et d’école à école, même en littérature, je n’en sais guère de vraie. Le moment venu, on ne succède avec efficacité qu’en brisant. Bertaut ne faisait que tirer et prolonger l’étoffe de Desportes ; il n’en pouvait rien sortir. Malherbe commença par découdre, et trop rudement : c’était pourtant le seul moyen.

Que si de ces preuves, pour ainsi dire extérieures et environnantes, nous allions au fond et prenions corps à corps le style de Bertaut, il nous serait trop aisé, et trop insipide aussi, d’y démontrer l’absence continue de fermeté, d’imagination naturelle, de forme, le prosaïsme fondamental, aiguisé pourtant çà et là de pointes ou traversé de sensibilité, et habituellement voilé d’une certaine molle et lente harmonie. Mais, mon rôle et mon jeu n’étant pas le moins du monde de

  1. Si Malherbe, en causant, aimait ces sortes de mots crus et de souche vulgaire, je trouve en revanche, dans une lettre de Mosant de Brieux, son compatriote, lequel (par parenthèse) jugeait aussi Bertaut assez sévèrement, la petite particularité suivante, que le prochain Dictionnaire de l’Académie ne devra pas oublier, et qui peut servir de correctif agréable : « Entr’autres mots, Malherbe en avoit fait un, qui étoit ses plus chères amours, qu’il avoit perpétuellement en la bouche, ainsi que M. de Grentemesnil me l’a dit, et qui, en effet, est doux à l’oreille et ne se présente pas mal ; ce fils de sa dilection, ce favori, c’est le mot de fleuraison, par lequel il vouloit qu’on désignât le temps qu’on voit fleurir les arbres, de même que, par celui de moisson, l’on désigne le temps qu’on voit mûrir les blés. » (À la suite des poésies latines de Mosant de Bileux, édition de 1669.) On ne s’attendait guère sans doute trouver Malherbe si printanier, si habituellement en fleuraison ; mais le mot de gracieux n’a-t-il pas eu pour champion le plus déclaré Ménage ?