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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

contenait que des Cantiques, des Complaintes, des Hymnes, des Discours funèbres, enfin des pièces graves, très peu de sonnets, point d’élégies ni de stances amoureuses. Ces dernières productions, les vraies œuvres de jeunesse, ne parurent que l’année suivante, 1602, sous le titre de Recueil de quelques vers amoureux, sans nom aucun, et avec un simple avertissement du frère de l’auteur ; il y est parlé de la violence que les amis ont dû faire au poète pour le décider à laisser imprimer par les siens ce qui aussi bien s’imprimait d’autre part sans lui : Marie ta fille, ou elle se mariera, dit le proverbe.

Ce sont ces deux recueils, accrus de quelques autres pièces, qui ont finalement composé les Œuvres poétiques de Bertaut, dont la dernière édition est de 1623, de l’année même de la grande et suprême édition de Ronsard. Il vient une heure où les livres meurent comme les hommes, même les livres qui ont l’air de vivre le mieux. Le mouvement d’édition et de réimpression des œuvres qui constituent l’école et la postérité de Ronsard est curieux à suivre ; cette statistique exprime une pensée. Joachim Du Bellay, le plus précoce, ne franchit pas le XVIe siècle, et ne se réimprime plus au complet à partir de 1597 ; les œuvres de Desportes, de Du Bartas, expirent en 1611 ; Bertaut, le dernier venu, va jusqu’en 1623, c’est-à-dire presque aussi loin que Ronsard, le plus fort et le plus vivace de la bande ; le dernier fils meurt en même temps que le père ; c’est tout ce qu’il peut faire de plus vaillant. N’admirez-vous pas comme tout cela s’échelonne par une secrète loi, comme les générations naturelles se séparent ! À suivre les dates de ces éditions complètes finales, on dirait voir des coureurs essoufflés qui perdent haleine, l’un un peu plus tôt, l’autre un peu plus tard, mais tous dans des limites posées. À ceux qui nieraient que Bertaut soit du mouvement de Ronsard et en ferme la marche, voilà une preuve déjà.

Bertaut n’a rien innové, ai-je dit ; jusqu’à présent, dans tous les détail de sa vie, dans les traits de son caractère qui en ressortent, on n’a pas vu germe de novateur en effet. Et d’abord, quand on innove, quand on réforme, on sait ce qu’on fait, quelquefois on se l’exagère. Bertaut ne paraît pas se douter qu’il fasse autre chose que suivre ses devanciers. Dans un réformateur qui réussit, il y a toujours plus qu’on n’est tenté de voir à distance, même dans un réformateur littéraire ; les réformes les plus simples coûtent énormément à obtenir. Souvent l’esprit y sert encore moins que le caractère. Malherbe, Boileau, avaient du caractère ; Racine, qui avait plus de talent à proprement parler, plus de génie que Boileau, n’aurait peut-être