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cour une charge de conseiller au parlement de Grenoble dont il se défit. Il passa le mauvais temps de la Ligue, plus sage que Desportes et plus fidèle, abrité chez le cardinal de Bourbon, à l’abbaye de Bourgueil, en Anjou. Ce lien resta exempt des horreurs de la guerre. Faisant parler en un sonnet la reconnaissance des habitans, qui offraient au cardinal un présent de fruits, Bertaut disait que c’était rendre bien peu à qui l’on devait tout, que c’était payer d’une humble offrande une dette infinie :

Vous qui savez qu’ainsi l’on sert les immortels,
Pensez que c’est encor au pied de leurs autels
Présenter une biche au lieu d’Iphigénie.

Les paysans de Bourgueil s’en tiraient, comme on voit, très élégamment.

Bertaut sortit de ces tristes déchiremens civils avec une considération intacte. Il échappa aux dénigremens des pamphlets calvinistes ou royalistes, et on ne lui lança point, comme à Desportes, comme à Du Perron, comme à Ronsard en son temps, toutes sortes d’imputations odieuses qui se résumaient vite en une seule très grossière, très connue de Pangloss, l’injure à la mode pour le temps. Ses poésies même amoureuses avaient été décentes ; il avait passé de bonne heure à la complainte religieuse et à la paraphrase des psaumes. Il contribua à la conversion d’Henri IV, qui lui donna l’abbaye d’Aulnay en 1594, et plus tard l’évêché de Séez, en 1606. Il fut de plus premier aumônier de la reine Marie de Médicis. On doit la plupart de ces renseignemens à Huet[1], qui, né à Caen aussi, fut abbé d’Aulnay comme Bertaut, et, comme lui encore, évêque, après avoir sinon fait des poésies galantes, du moins aimé et loué les romans. L’évêque de Séez assista, en 1607, au baptême du dauphin (Louis XIII) à Fontainebleau, et, en 1610, il mena le corps de Henri IV à Saint Denis. On a l’oraison funèbre qu’il prononça en prose oratoire, moins polie pourtant que ses vers[2]. Il survécut de peu à son bienfaiteur, et mourut dans sa ville épiscopale, le 8 juin 1611, après cinq ans à peine de prélature ; il n’avait que cinquante-sept ans, suivant le Gallia christiana, et au plus cinquante-neuf.

Ses poésies, qui circulaient çà et là, n’avaient pas été recueillies avant 1601 ; cette édition, qui porte en tête le nom de Bertaut, ne

  1. Origines de Caen, pag. 358.
  2. « Donc la misérable poincte d’un vil et meschant couteau remué par la main d’une charongne enragée et plustot animée d’un démon que d’une ame raisonnable, etc… » C’est le début : il est vrai que le reste va mieux.