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d’elle, en poésie, qu’un bout de lisière et un lointain le plus en vue, par Marot, Villon, le Roman de la Rose. Il ne faudrait pas trop mépriser cet ancien chemin battu, maintenant qu’on en a reconnu une foule d’autres plus couverts. Il suffit qu’on l’ait long-temps cru l’unique, pour qu’il reste le principal. Quoi qu’il en soit, la langue française ressemble assez bien, en effet, à ce vénérable noyer auquel la comparait récemment M. Delécluse[1]. Elle a eu quatre siècles de racines, elle n’a guère que trois siècles encore de tronc et d’ombrage.

Ici, pour me tenir aux alentours de Malherbe et à Bertaut, je voudrais simplement deux choses :

1o Montrer que Bertaut n’a rien innové d’essentiel, rien réparé ni réformé, et qu’il n’a fait que suivre ;

2o Laisser voir qu’à part cette question d’originalité et d’invention dans le rôle, il est effectivement en plus d’un endroit un agréable et très doux poète.

Jean Bertaut était de Caen ; il y naissait vers 1552, comme Malherbe vers 1556, de sorte que dans le conflit qu’on voudrait élever entre eux deux, la Normandie ne saurait être en cause, pas même la basse Normandie ; ce n’est qu’un débat de préséance entre deux natifs, une querelle de ménage et d’intérieur. Son article latin dans le Gallia christiana[2] le fait condisciple de Du Perron, qui fut un poète de la même nuance. Il n’avait que seize ans (lui-même nous le raconte dans sa pièce sur le trépas de Ronsard), lorsqu’il commença de rêver et de rimer. Les vers de Desportes, qui ne parurent en recueil pour la première fois qu’en 1573, n’étaient pas publiés encore. Dès que le jeune homme les vit, déçu, nous dit-il, par cette apparente facilité qui en fait le charme, il essaya de les imiter. Desportes n’avait que six ans plus que lui ; jeune homme lui-même, il servit de patron à son nouveau rival et disciple en poésie ; il fut son introducteur près de Ronsard. Mathurin Regnier, neveu de Desportes, dans cette admirable satire V, sur les humeurs diverses d’un chacun, qu’il adresse à Bertaut, a dit :

Mon oncle m’a conté que, montrant à Ronsard
Tes vers étincelans et de lumière et d’art,
Il ne sut que reprendre en ton apprentissage,
Sinon qu’il te jugeoit pour un poète trop sage[3].

  1. François Ralelais, imprimerie de Fournier, 1841.
  2. Tome XI, Ecclesia sagiensis, Johannes VI, parmi les évêques de Séez.
  3. Poète ne faisait alors que deux syllabes.