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expirantes du moyen-âge, furent adressées au jeune souverain. Charles refusa de recevoir les députés des révoltés, les nobles battirent les communes à Villalar, Padilla fit une mort sublime, et Jeanne retomba dans la folie, l’isolement et l’imbécillité. C’en était fait des communes espagnoles.

À leur tour, les grands furent aisément réduits. Le peuple y aida. À Valence, une association populaire s’était formée, sous le nom de la Germanada, pour faire la guerre à la noblesse. Charles la laissa faire. Plus tard, il ôta lui-même à cet ordre puissant une grande partie de ses priviléges. Ce fut sous lui que la grandesse commença à devenir ce qu’elle a été complètement depuis : un corps fastueux et imposant, mais inutile ; des richesses immenses et des noms illustres, mais point d’autorité dans l’état, point d’activité ; une éternelle représentation du passé, glorieuse comme lui et comme lui morte ; le culte des ancêtres, la garde oisive des souvenirs ; le luxe et l’éclat déguisant la plus profonde nullité politique ; des titres sans portée, des honneurs sans résultat ; le droit puéril d’être tutoyé par le roi et de se couvrir devant lui comme devant un égal ; beaucoup de popularité à la condition de beaucoup d’impuissance ; quelque chose de fier et de froid, de magnifique et d’immobile comme un musée de statues couchées sur des tombeaux.

Après Charles-Quint vint Philippe II. Celui-ci fut le véritable continuateur de Ximenès, le moine-roi. Tout ce que le confesseur d’Isabelle avait commencé, le pénitent de l’Escurial l’acheva. Lui aussi persécuta les Maures, encouragea l’inquisition, étendit à tout l’étroit empire de la règle, et comprima sous une main de fer le libre génie de l’Espagne. Il fut puissant, sans doute, et son siècle fut grand, mais les sources de cette grandeur étaient hors de lui, et il les ferma ; il cueillit le fruit en coupant l’arbre. Le plus éminent produit de son règne fut un monastère, et ce monastère qui résume toute une époque, avec son site nu et triste, son sol aride, l’aspect désolé de ses environs, ses bâtimens d’une symétrie inflexible, sa grandeur sans goût et sans vie, son silence, sa solitude, son ennui, tout ce qu’il y a d’horreur dans sa sombre masse, d’obscurité sous ses voûtes, de vide dans ses cours, de nudité sur ses murailles, semble avoir été choisi par la Providence pour rester à jamais l’image de ce que peut devenir une nation quand elle s’enferme dans un cloître.

Ce n’est pas à lui seul, comme on voit, que Ximenès a accompli cette œuvre de ruine ; mais il en a été le premier instrument et le plus puissant, c’est lui surtout qui doit en porter la responsabilité devant