Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/555

Cette page a été validée par deux contributeurs.
551
LE CARDINAL XIMENÈS.

Le plus sûr est encore de n’écouter que la voix sévère de la conscience, et de ne chercher que dans le contentement de soi-même la récompense de ses efforts.

Ainsi vécut et mourut François Ximenès de Cisneros. Est-il besoin maintenant de rappeler, pour achever de le faire connaître, ce que devint l’Espagne après lui ?

L’arrivée de Charles fit taire tous les murmures, apaisa toutes les séditions, et commanda sinon l’amour du moins l’obéissance. Ce prince avait à peine passé deux ans dans ses nouveaux états, qu’il fut élevé à l’empire. Déjà étranger à l’Espagne par sa naissance et par son éducation, il le devint plus encore par l’élection germanique. En même temps qu’il s’éloignait de toute communication avec ses sujets de la Péninsule, il grandissait en majesté et en puissance. Jeune, ambitieux, chargé d’héritages, il devait rêver et il rêva la domination universelle ; ces belles couronnes d’Aragon, de Valence, de Léon, de Castille, dont chacune avait coûté tant de guerres et fait l’orgueil de tant de rois, paraissaient à peine sur sa tête parmi vingt autres plus enviées. Ce qu’il avait été facile de prévoir arriva : il ne se souvint de l’Espagne que pour l’opprimer de loin.

Dès que l’ambassade solennelle des électeurs impériaux vint le chercher à Barcelone pour son couronnement, les Espagnols prévirent le sort qui les attendait, et ils essayèrent de s’en affranchir. Des soulèvemens éclatèrent partout à la fois ; Charles n’en tint nul compte et partit. Après son départ, les germes de division que Ximenès avait entretenus entre les diverses classes de l’état, portèrent leurs fruits ; les nobles et les communes ne surent pas s’entendre pour combattre ensemble, et les libertés espagnoles s’étouffèrent elles-mêmes dans leur dernier effort. Le malheur de l’Espagne se perdit dans l’éclat incomparable du règne de Charles-Quint, mais dès ce moment commença la décadence de ce peuple, qui aurait été si grand, s’il avait su rester plus libre.

Les communes périrent les premières, et par l’épée des nobles. Ce fut en vain qu’un héros, don Juan de Padilla, se mit la tête de la sainte ligue des villes de Castille. Ce fut en vain que, dans l’impuissance de se donner pour chef Ferdinand, que son frère avait eu la précaution de faire passer en Allemagne, les communes proclamèrent de nouveau pour leur reine la fille d’Isabelle-la-Catholique, la mère de Charles-Quint, Jeanne-la-Folle, cette image débile et touchante de leur vieille nationalité. Ce fut en vain que d’éloquentes remontrances, un des plus admirables monumens des institutions