il affecta de ne plus prendre les conseils du cardinal. Ximenès sollicita la permission de le voir, mais cette grace lui fut refusée, sous prétexte que sa santé ne lui permettait pas de faire le voyage. Il insista et se plaignit vivement. Charles lui répondit en le remerciant de ses longs services et en l’autorisant à prendre désormais, dans son diocèse de Tolède, un repos dont il devait avoir besoin après une vie si bien remplie.
Cette lettre fatale arriva à Ximenès malade, le 8 novembre 1517. Quelques heures après, il était mort.
Nous n’essaierons pas de démêler les sentimens qui l’assaillirent alors et le brisèrent. En recevant cette récompense de tant de travaux, Ximenès fit-il un retour sur lui-même ? Eut-il un regret profond et tardif de ce qu’il avait fait ? Comprit-il par son propre exemple qu’il avait désarmé et livré l’Espagne ? Fut-il enfin saisi de ce remords poignant que doit donner à l’heure suprême le sentiment de toute une vie perdue et faussée ? Ou bien ne fut-il sensible qu’à la perte subite d’un pouvoir longuement conquis ? Le cordelier ne sut-il trouver dans sa piété d’autrefois aucune consolation au coup qui le frappait ? Après avoir long-temps affecté de repousser l’autorité, s’y était-il attaché avec cette âpre et rude manie qui fait qu’on ne peut la quitter sans mourir ? Qu’était devenu ce saint amour des austérités qui n’avait rien trouvé d’assez difficile, et qui ne pouvait résister à l’humiliation d’un moment, à une disgrace de cour, à un caprice de jeune homme ? Cette humilité n’était donc plus qu’orgueil, cette pauvreté qu’ambition, cette abnégation que soif de gloire, vertus impossibles qui s’étaient usées par leur excès même ! Cette triste fin de Ximenès porte avec elle un double enseignement. S’il était juste que cette ame superbe, qui avait toujours prétendu n’avoir rien de naturel et d’humain, laissât enfin pénétrer la lumière dans ses replis et se montrât à ses derniers momens avec ses faiblesses cachées, il était juste aussi que le politique, qui avait tant fait pour le pouvoir absolu, fût puni de son aveugle passion par ce pouvoir lui-même. C’est une grande leçon que celle-là pour les ambitieux. Si Ximenès avait compté sur la reconnaissance de Charles-Quint, il s’était trompé. Quelque maître qu’on serve, il ne faut jamais se faire illusion sur ce qu’on doit en attendre ; les rois ne sont pas moins ingrats que les peuples, et la faveur n’est pas plus durable que la popularité. Pour peu que l’on sacrifie son devoir à l’une de ces fragiles espérances, on se prépare des désenchantemens amers.