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LE CARDINAL XIMENÈS.

avant lui l’expédition d’une pièce, et de la lui envoyer ensuite pour qu’il mît son nom après les leurs. Ximenès déchira froidement l’expédition, ordonna au secrétaire-d’état de la refaire, et la signa tout seul. Depuis ce jour, il n’envoya plus rien à signer à ses collègues. Ceux-ci s’en irritèrent, et, profitant du malheur qui venait d’arriver aux armes espagnoles, n’épargnèrent rien pour lui nuire auprès de leur maître. Les prétentions de la cour de Bruxelles s’accrurent. Le régent eut à répondre tous les jours à de nouvelles exigences. Il tint tête d’abord sans se troubler à ces difficultés sans cesse renaissantes, mais les Espagnols ne furent pas aussi patiens que lui, et leur irritation précipita la crise.

Le mécontentement était devenu général en Castille contre les Flamands. On savait que Ximenès envoyait souvent de fortes sommes d’argent à Bruxelles, et que ces tributs qui épuisaient l’Espagne ne contentaient pas encore la cupidité des ministres de Charles. Le bruit se répandait en même temps que toutes les fonctions publiques ne tarderaient pas à être confiées à des étrangers, et qu’on s’exprimait hautement à la cour du jeune roi sur les espérances qu’on ne craignait pas de former à cet égard. La rumeur fut si forte, que plusieurs villes s’assemblèrent pour en délibérer ; il fut décidé que des remontrances seraient adressées au roi pour le supplier de ne gouverner l’Espagne que par des Espagnols. Ximenès fit de vains efforts pour arrêter le mouvement. Il fut bientôt obligé d’écrire lui-même à Charles que, s’il ne se pressait d’accourir, il risquait de voir son frère Ferdinand élevé sur le trône ; que l’autorité du régent ne suffisait plus pour contenir les esprits, et qu’il n’y avait d’autre moyen de les calmer que de prendre l’engagement réclamé à grands cris par tous les ordres de la nation espagnole.

Ces lettres perdirent Ximenès. Charles s’en offensa. On apprit bientôt en Castille que le roi allait arriver. Le cardinal équipa une flotte qu’il lui envoya pour lui servir d’escorte. Lui-même partit, malgré son âge, pour aller au-devant du maître qu’il avait préféré. Ce fut pendant ce voyage qu’il fut saisi un jour, après son dîner, d’une indisposition violente qui fit soupçonner un empoisonnement. L’animosité était alors si grande contre lui des deux parts, que ceux qui crurent au crime ne surent à qui l’attribuer, des Espagnols ou des Flamands. Dans tous les cas, il n’était pas nécessaire d’avoir recours au poison pour le tuer ; une simple lettre de Charles devait suffire. Dès que ce prince eut mis le pied sur le territoire espagnol,