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LES PROVINCES DU CAUCASE.

populations aussi différentes par la religion que par les mœurs, et on remarque dans les produits du sol, presque toujours fertile, la même diversité que dans le caractère des habitans. Une partie de ces provinces n’est, il est vrai, possédée que nominativement ; le Daghestan et la Circassie sont dans un état d’indépendance presque complète. Ce n’est que par d’immenses sacrifices d’argent et par le maintien d’armées nombreuses que la Russie conserve dans l’intérieur du Daghestan quelques points fortifiés. L’occupation de la Circassie se borne à quelques forts sur le littoral ; ces forts, cernés de toutes parts, n’ont aucune communication avec les habitans, et, tenus dans un état de siége continuel, ils coûtent un grand nombre d’hommes. Le scorbut et d’autres maladies, résultats nécessaires de la mauvaise nourriture et d’un service fatigant, emportent des garnisons presque entières qu’il faut renouveler chaque année.

Une excursion en Circassie offre de telles difficultés, que, malgré mon vif désir d’être témoin de la lutte glorieuse des tribus du Caucase, je dus renoncer au projet de visiter cette contrée, placée entre la Russie et l’Orient comme une barrière insurmontable, et qui, à ce titre, doit attirer l’attention des hommes politiques. Loin de diminuer en effet, les obstacles opposés aux armées du czar dans le Caucase acquièrent chaque jour d’autant plus de gravité, que les guerres de Circassie excitent le mécontentement général des troupes engagées dans des combats d’où elles sortent rarement victorieuses. Le blocus de la côte par les vaisseaux russes est un des moindres dangers qu’ait à courir le voyageur qui veut se rendre de Constantinople en Circassie : il faut se procurer un hôte influent qui vous assure une réception amicale ; il faut acheter des marchandises car l’argent n’est d’aucun usage en Circassie, et c’est avec quelques pièces d’étoffe que l’on paie l’hospitalité des habitans. Tout voyageur en Circassie est d’ailleurs considéré comme envoyé de son gouvernement ; il doit prendre part à des conférences, émettre son opinion sur les affaires du pays, entrer enfin dans toutes les questions qui se rattachent au rôle qu’il est forcé d’accepter. Son départ est retardé par mille formalités ; pour passer d’une tribu à une autre, il faut presque une autorisation générale des membres de cette tribu. Un long séjour peut seul mettre à même de connaître des populations que leur état de lutte rend méfiantes, car tout étranger est pour elles un espion qu’il faut surveiller. Je me serais sans hésitation exposé à toutes les chances du voyage ; mais des considérations qu’il est facile d’apprécier me détournèrent d’entrer dans un pays ou j’aurais été retenu plusieurs