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LE CARDINAL XIMENÈS.

que Ximenès ne fut un de ceux qui firent le plus pour sa défense ; ce que nous venons de rapporter en fait foi. L’inquisition avec ses formes terribles, l’arbitraire de ses arrestations, le secret de ses procédures, l’appareil effrayant de ses supplices, le nombre de ses familiers qui la rendaient présente partout à la fois, était le complément nécessaire du système religieux et politique dont Ximenès fut le plus zélé promoteur. Sans l’épouvante dont elle a pénétré l’Espagne, le despotisme qui a suivi n’aurait peut-être pas été possible. Or, l’archevêque de Tolède était trop convaincu des avantages de l’unité absolue, son caractère était trop ami de la force, pour qu’il ait pu hésiter un moment devant l’adoption d’un si formidable moyen.

Cependant Ferdinand-le-Catholique approchait de sa fin. Bien qu’âgé lui-même de près de quatre-vingts ans, Ximenès était destiné à voir s’éteindre avant lui le mari d’Isabelle, et à survivre seul de ce siècle illustre. Il devait encore attacher son nom à un dernier acte, le plus grave de tous, et prendre sa part de responsabilité dans la solution de la plus grande question politique qui eût encore été posée pour l’Espagne.

Jeanne-la-Folle, fille unique de Ferdinand et d’Isabelle, avait eu de son mariage avec Philippe-le-Beau deux fils. L’aîné, Charles, avait déjà succédé à son père dans le gouvernement des Pays-Bays ; le second, Ferdinand, résidait en Castille. À la mort de Ferdinand-le-Catholique, Jeanne-la-Folle, qui vivait encore, devait hériter de l’Aragon, comme elle avait déjà hérité de la Castille par la mort de sa mère. Il s’agissait de savoir lequel de ces deux fils succéderait après elle à ses deux couronnes. La coutume désignait Charles, mais la politique désignait Ferdinand. Charles était un étranger élevé en Allemagne, investi déjà des riches possessions de la maison de Bourgogne, et destiné à régner un jour sur une grande partie de l’Europe ; Ferdinand au contraire était Espagnol, élevé en Espagne, et n’avait d’autre patrimoine que les droits qui lui seraient reconnus par les Espagnols. Il n’était pas sans exemple, et tout récemment encore, que les cortès, trouvant des inconvéniens à la succession naturelle, déférassent la couronne à un autre héritier que l’héritier direct ; mais l’adoption de cette mesure, qui n’avait jamais été aussi légitime que lorsqu’il s’agissait d’écarter un prince pour qui l’Espagne ne devait être qu’une annexe à d’autres domaines, présentait de grandes difficultés, et la solution était indécise.

Ferdinand-le-Catholique se montra très préoccupé, pendant les dernières années de sa vie, de cette question délicate de sa succes-