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inquisiteur-général. Dans son Histoire de l’Inquisition, Llorente suppose, on ne sait sur quel fondement, que Ximenès est l’auteur d’un manuscrit précieux conservé dans la bibliothèque royale de Saint-Isidore de Madrid, et qui contient, sous la forme d’un roman allégorique, un véritable plaidoyer contre l’inquisition. Le douzième livre est consacré tout entier à rapporter ce que fit le roi Prudentianus, dans le royaume de la vérité, pour y remédier aux maux qu’avait causés le pieux tribunal. S’il en était ainsi, Ximenès serait bien coupable, car, après avoir senti mieux que personne l’horreur de la persécution, il aurait plus tard changé d’avis en devenant lui-même inquisiteur. Mais l’hypothèse de Llorente est peu vraisemblable, et il est plus naturel de croire que Ximenès se montra dès l’origine ce qu’il devait être jusqu’à sa mort, admirateur passionné des rigueurs du saint-office. Le même Llorente raconte que, dans les onze années de son ministère, Ximenès fit condamner cinquante-deux mille huit cent cinquante-cinq personnes, dont trois mille cinq cent soixante-quatre subirent la peine du feu, immense holocauste que rien ne peut excuser, mais qui deviendrait plus épouvantable encore si celui qui l’ordonnait avait eu des doutes sur la légitimité de ses jugemens.

Quand le bruit se répandit, dit encore Llorente, que Ferdinand allait faire la guerre au roi de Navarre, en 1512, les nouveaux chrétiens lui offrirent 600,000 ducats d’or pour les frais de cette entreprise, à condition qu’une loi de l’état établirait la publicité pour tous les procès de l’inquisition. Le roi était sur le point de traiter avec eux, quand Ximenès, qui en fut instruit, mit à sa disposition une forte somme d’argent. Le roi l’accepta, et renonça à tout projet de réforme. En la lui remettant, Ximenès lui représenta que, si le changement que les nouveaux chrétiens avaient demandé leur était accordé, il n’y aurait plus personne qui voulût être délateur ou témoin, ce qui ne pourrait manquer de compromettre les intérêts de la religion. Une autre fois, il ordonna qu’à l’avenir la croix en sautoir serait substituée à la croix ordinaire sur le san-benito, sous prétexte que les condamnés déshonoraient en le portant le signe sacré de notre rédemption.

Ceux qui croient que l’inquisition s’est naturellement établie en Espagne comme un produit spontané du sol, se trompent ; elle n’y a été fondée que par la violence. Dans les premiers temps qui suivirent son institution, elle fut à tout moment sur le point de succomber sous la répulsion universelle qu’elle soulevait. Il ne fallut rien moins que toute l’autorité des rois catholiques pour la maintenir. Nul doute