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rencontrèrent. Hommes, femmes, enfans, tout fut égorgé. La nuit mit fin au carnage. Les soldats, ivres de vin, de sang et de pillage se couchèrent en désordre dans les rues et sur les places publiques au milieu des cadavres de leurs ennemis.

Ximenès fit une entrée solennelle dans Oran ; il y arriva par mer. Dès qu’il vit, du haut de sa galère, sa belle conquête se déployer devant lui, il répéta plusieurs fois les paroles du psalmiste : Ce n’est pas à nous, Seigneur, ce n’est pas à nous, c’est à votre nom qu’il faut rapporter cette gloire. Il fut reçu à la descente de sa galère par Vianelli ; Pierre de Navarre l’attendait à la porte de la ville pour lui remettre les clés. Une double haie d’infanterie et de cavalerie bordait le chemin depuis la mer jusqu’à l’alcazar. Trois cents esclaves chrétiens, que la prise d’Oran avait délivrés, se jetèrent à ses pieds en lui présentant leurs chaînes brisées. Les acclamations de l’armée et les détonations de l’artillerie retentissaient de toutes parts sur son passage. Après avoir pris possession de l’alcazar, il se rendit sur la grande place où tout le butin avait été entassé, il mit les objets les plus précieux à part, et les envoya au roi par un courrier, avec la nouvelle de sa victoire ; puis, ne se réservant que quelques livres arabes qu’il destinait à la bibliothèque d’Alcala, il abandonna le reste à l’armée. La valeur totale de cette riche proie fut estimée à cinq cent mille écus d’or.

L’admiration qu’a excitée cette prise d’Oran a été si grande dans son temps, qu’on ne s’en est pas tenu aux moyens humains pour expliquer une victoire si prompte et si complète. Quelques-uns des historiens de Ximenès ont mêlé des miracles dans leur récit. Pendant la traversée, les vents qui avaient paru d’abord contraire, étaient tout à coup devenus favorables. Au moment du combat, une nuée s’était arrêtée sur les chrétiens pour les rafraîchir, pendant que leurs adversaires restaient exposés aux rayons brûlans du soleil d’Afrique. Des bandes de corbeaux et de vautours n’avaient pas cessé de voltiger autour des Arabes ; les lions de l’Atlas, frappés au fond de leurs antres d’une terreur divine, avaient rempli le désert de longs et douloureux rugissemens. Nouveau Josué, Ximenès avait arrêté le soleil et rendu le jour plus long de trois ou quatre heures, pour laisser à l’armée le temps d’occuper la ville. Ces traditions épiques se perpétuèrent à Oran, et pendant les siéges que les Espagnols eurent à soutenir dans ses murs, on crut voir plusieurs fois dans l’air le bienheureux archevêque, vêtu en religieux, l’épée d’une main et le crucifix de l’autre, défendant lui-même sa ville comme il l’avait prise.