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ennemi de leurs priviléges. Le clergé ne lui pardonnait pas ses prétentions de réformateur. On savait enfin que le roi Ferdinand l’avait toujours vu avec une jalousie secrète. Quand Isabelle succomba à l’âge de cinquante-quatre ans, accablée de chagrins domestiques, on put croire que c’en était fait de l’ascendant de son confesseur. Mais cet humble cordelier, qui n’avait accepté le pouvoir qu’avec tant de répugnance, se trouva tout à coup doué d’une rare habileté et d’une résolution infatigable pour conserver et accroître encore, s’il était possible, l’autorité dont il était revêtu. Il s’y appliqua avec un art infini qui déjoua toutes les menées contraires. La vénération que le peuple avait pour lui, lui servit à contenir l’animosité des nobles ; sa haute situation comme primat d’Espagne maintint le clergé dans le respect ; et, ce qui paraîtra le chef-d’œuvre de sa politique, il sut se donner pour principal soutien l’homme qui lui avait été le plus opposé du vivant de la reine, le roi Ferdinand lui-même.

Après la mort d’Isabelle, Ferdinand avait résigné le titre de roi de Castille et fait proclamer sa fille Jeanne comme souveraine de ce royaume ; mais il avait pris en même temps le titre de régent, que lui donnait le testament de la reine. L’archiduc Philippe, mari de Jeanne, qui était alors dans les Pays-Bas, ne voulut pas reconnaître le droit de Ferdinand à la régence. Un grand parti se forma en Castille contre le roi, et quand Philippe et sa femme débarquèrent à la Corogne, tout le pays reconnut leur autorité. La cour de Ferdinand fut subitement désertée par tous les Castillans. Ximenès saisit ce moment pour se rapprocher de lui ; il se porta comme intermédiaire entre les deux princes, et parvint à négocier un accommodement. Le roi Ferdinand consentit à abandonner la régence et à se retirer dans ses états héréditaires d’Aragon, à condition qu’il conserverait la grande maîtrise des ordres militaires et la moitié des revenus de la couronne de Castille, qui lui avaient été assignés par le testament de la reine. Philippe accepta ces conditions, et un traité fut signé entre le beau-père et le gendre. Tant que dura la courte administration de Philippe, Ximenès eut peu d’influence en Castille, où gouvernait sous le nom de ce prince un ministre favori, don Juan Manuel ; mais le souvenir de son intervention dans un moment difficile le protégea contre les réactions qui marquent habituellement un nouveau règne, et il gagna de plus en plus en crédit auprès de Ferdinand, qui détestait Juan Manuel.

Au bout de quelques mois de règne, Philippe mourut d’un transport au cerveau, à la suite d’un violent exercice au jeu de paume ; il