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LE CARDINAL XIMENÈS.

Des insurrections sans fin se succédèrent, chaque soulèvement devenant le prétexte de nouvelles violences, et chaque nouvelle violence provoquant un soulèvement plus terrible, jusqu’à ce qu’enfin les Maures fussent chassés de cette terre qu’ils avaient fertilisée. Leurs arts, leur industrie, leur agriculture, disparurent avec eux, non sans laisser des traces qui distinguent encore du reste de l’Espagne les pays qu’ils ont habités.

Ximenès est le premier auteur de tant de maux. C’est à lui que remonte cette chaîne de mesures oppressives qui poussèrent à bout les peuples amollis de Grenade. S’il ne s’était pas rencontré auprès d’Isabelle un homme de fer comme lui, l’ascendant de Ferdinand aurait pu l’emporter, et l’habile modération qui, durant huit ans entiers, maintint le calme à Grenade après la conquête, aurait continué à assoupir les vengeances nationales. Quand on pense à tout ce que l’intervention de Ximenès eut de funeste alors, on se demande avec étonnement comment un pareil homme a pu jouir en Espagne d’une renommée si éclatante. C’est que malheureusement les peuples n’admirent dans leurs grands hommes que ce qui les frappe et les subjugue. La gloire est comme la puissance ; il s’agit moins de la mériter que de s’en saisir.

Ce n’est pas que Ximenès n’ait fait preuve des plus grandes qualités d’un homme d’état. Son talent pour le gouvernement est incontestable. Il lui est même arrivé d’en faire un bon usage, comme quand il fit réduire la taxe connue sous le nom d’alcabala, et quand il introduisit des adoucissemens notables dans la perception des deniers publics. Mais ce n’est pas par là qu’il fut surtout admiré et qu’il l’est encore. Ce qui a fait sa réputation, ce sont ses fautes même. Il a contribué par son exemple et par son autorité à développer dans le caractère national de son pays des défauts analogues à ceux de sa violente nature. C’est par là que sa gloire s’est établie. Jamais personne n’a eu plus d’historiens et de panégyristes. Il a été long-temps l’objet d’une sorte de culte, et ses plus fanatiques admirateurs ont voulu faire de lui un saint. Éternelle faiblesse des jugemens humains, qui ne distribuent que comme au hasard les malédictions et les couronnes !

Il semblait que la mort d’Isabelle, qui survint le 26 novembre 1504, devait ébranler cette puissance de Ximenès. Il n’en fut rien. La reine avait paru de tout temps l’unique point d’appui du hautain archevêque contre les ennemis innombrables qu’il s’était faits par ses manières despotiques. Les grands le haïssaient comme le plus mortel