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LE CARDINAL XIMENÈS.

se portaient à quelque extrémité sur la personne de l’archevêque, ils attireraient infailliblement sur eux les terribles vengeances des rois catholiques. La multitude ébranlée abandonna sa proie au moment où elle allait mettre le feu à des matières combustibles entassées à la porte du palais, et se retira dans l’Albayzin.

Elle y fut suivie par Zegri, le comte de Tendilla et l’archevêque Talavera. Ces trois personnages, respectés à divers titres, n’épargnèrent rien pour éteindre le feu que Ximenès avait allumé. Tendilla n’avait amené avec lui que quelques soldats ; il promit aux insurgés qu’il intercéderait pour obtenir leur pardon auprès de Ferdinand et d’Isabelle, et laissa même en otage parmi eux sa femme et ses deux fils dont l’un devait être un jour l’historien de la dernière catastrophe des Maures de Grenade. Quant à l’archevêque, précédé de sa croix pastorale, il traversa les divers quartiers comme un ange sauveur, partout accueilli par des témoignages de vénération et d’amour. Les derniers flots de la sédition s’apaisèrent sur ses pas, et les Maures revinrent de toutes parts à leurs travaux. Mais l’illusion de la confiance avait disparu, et le fond des cœurs gardait un levain qui ne devait pas se contenir toujours.

Ximenès pensa bien que cet évènement pourrait ébranler son crédit près de la reine. Il s’empressa de faire à sa manière une relation des faits et l’envoya à Isabelle par un Éthiopien qui passait pour le premier marcheur de l’Espagne. Ce noir messager s’enivra en route et perdit du temps ; la rumeur publique fut la première qui porta aux rois catholiques le bruit de ce qui s’était passé, grossissant les faits suivant son usage, et le roi Ferdinand, qui avait toujours été du parti de la modération et de la clémence, fut informé le premier des résultats qu’avait eus la brusque interruption de la sage conduite qu’il avait ordonnée.

Ce prince n’avait jamais aimé Ximenès. Son esprit réfléchi et politique ne pouvait s’accommoder du caractère ardent et opiniâtre du confesseur d’Isabelle. Dans plusieurs occasions ils s’étaient déjà trouvés en présence, et Ferdinand avait toujours été forcé de céder devant l’ascendant supérieur de l’archevêque. Dès que les premières nouvelles de l’insurrection de Grenade arrivèrent à Séville, où la cour s’était rendue en partant de Grenade, Ferdinand alla trouver la reine et lui dit : « Eh bien ! ne vous détromperez-vous donc jamais de votre Ximenès ? Comprendrez-vous enfin que ses violences nous feront perdre en un jour le fruit de tant de travaux, de tant de dépenses et de tant de sang répandu par nous et par nos ancêtres ? »