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LE CARDINAL XIMENÈS.

de la capitulation qui leur garantissait le libre exercice de leurs lois et de leur religion. L’alcayde ou gouverneur de Grenade pour les rois catholiques, le comte de Tendilla, était un homme aussi prudent que ferme, aussi expérimenté que brave, et qui mettait tous ses soins à ménager la population vaincue et soumise. Auprès de lui siégeait un de ces hommes divins qui ne semblent envoyés sur la terre que pour en apaiser les douleurs, le frère Fernando de Talavera, religieux hiéronymite, autrefois confesseur de la reine, et alors archevêque de Grenade. Science, piété, douceur, véritable charité, Talavera avait toutes les vertus qui pouvaient faire vénérer l’épiscopat par les infidèles. Après avoir appris l’arabe ainsi que son clergé, il avait eu soin de faire traduire l’Évangile dans cette langue. Avec l’aide de ce livre saint, qu’il répandait en grand nombre parmi le peuple, il n’employait d’autres armes pour amener les Maures au christianisme, que la persuasion affectueuse, la bienveillance paternelle, les consolations, les aumônes, les bonnes œuvres de tout genre, et l’exemple de la plus admirable pureté.

De temps en temps, quelques Maures touchés demandaient le baptême ; mais ces conquêtes pacifiques n’allaient pas assez vite au gré de l’impatient Ximenès. Dans un voyage que les rois catholiques firent à Grenade dans l’automne de 1499, il les accompagna, et proposa à Talavera de se joindre à lui pour poursuivre en commun l’œuvre de la conversion. Le modeste prélat accepta cette assistance qui devait en peu de temps détruire tout son ouvrage. Ferdinand et Isabelle ne furent pas plus tôt partis, que Ximenès entreprit ses prédications. Il fit venir les alfaquis ou docteurs musulmans, et eut avec eux plusieurs conférences pour leur démontrer les vérités de la religion chrétienne. À la puissance de ses enseignemens il ajouta celle des présens, qu’il distribua avec profusion parmi eux, et à force de flatteries, de cadeaux et de caresses, dit naïvement un historien espagnol, il les amena à la connaissance du vrai Dieu. Le nombre des Maures qui se convertissaient à sa voix fut si considérable, dit-on, qu’il était obligé de les baptiser à la fois par milliers, en secouant l’eau sainte sur leur multitude prosternée.

Malheureusement de si belles apparences ne se soutinrent pas long-temps. Des signes certains ne tardèrent pas à montrer que ces nombreuses conversions étaient peu sincères. Une sourde fermentation se répandit dans le quartier le plus populeux de Grenade, appelé l’Albayzin. Les mécontens disaient à haute voix que la capitulation n’était pas observée, et que leur liberté religieuse avait