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LE CARDINAL XIMENÈS.

nomination de l’archevêque de Tolède. Avant de mourir, le grand cardinal en avait disposé en faveur de son plus jeune frère, don Pedro Hurtado de Mendoza. À l’avénement de Ximenès, toute la cour lui demanda de confirmer cette nomination ; on fit valoir auprès de lui la reconnaissance qu’il devait garder à la mémoire de son bienfaiteur, on alla même jusqu’à invoquer l’autorité de la reine, qui intervint avec chaleur. C’était s’y prendre mal pour obtenir quelque chose de l’ombrageux Ximenès ; il refusa obstinément, disant qu’il ne céderait jamais à aucune considération pour distribuer les fonctions et les honneurs de l’église. Sa résistance lassa les sollicitations. Depuis long-temps, il n’était plus question de cette affaire, et la reine elle-même avait cessé ses instances, quand Ximenès, ayant un jour rencontré Mendoza dans une des avenues du palais, le salua gracieusement du titre d’alcayde ou gouverneur de Cazorla. Mendoza, qui avait tourné la tête pour affecter de ne pas voir l’archevêque, se retourna avec étonnement, et Ximenès répéta son salut, en lui disant que, depuis qu’il était bien constaté qu’il n’obéissait à aucune influence étrangère, il était heureux de lui rendre une place qu’il n’avait jamais voulu lui enlever.

Cette conclusion inattendue eut le succès qu’elle devait avoir. Ximenès y gagna de se réserver tout l’honneur du procédé et de décourager en même temps pour l’avenir toute intervention de la faveur royale dans les choses de son domaine. Ce n’était pas mal calculer pour un moine. Les autres affaires qu’il se fit par l’inflexibilité de son caractère n’eurent pas un dénouement aussi pacifique ; mais, dans toutes, il finit aussi par l’emporter à force d’opiniâtreté et de rudesse.

Libre désormais de se livrer à ses goûts de réforme, son premier soin comme archevêque fut de porter un examen sévère sur le clergé de son diocèse ; il commença par le chapitre de Tolède. Les chanoines, qui avaient pris depuis long-temps l’habitude de n’être pas inquiétés dans la molle vie qu’ils s’étaient faite, résolurent d’envoyer à Rome un des leurs pour se plaindre au pape des manies réformatrices de leur prélat. Celui qui fut choisi pour cette mission délicate était un homme adroit et intelligent nommé Albornoz. Il ne put pourtant pas mettre assez de secret dans son départ pour échapper à la vigilance de Ximenès. Albornoz avait à peine quitté Tolède, qu’un officier était déjà envoyé sur ses traces pour l’arrêter. Cet officier avait l’ordre, dans le cas où le chanoine aurait déjà pris la mer, de fréter au plus vite un bâtiment léger et de le devancer