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LE CARDINAL XIMENÈS.

tomba malade et mourut. L’archevêché de Tolède était alors la première dignité ecclésiastique du monde après la papauté. L’autorité de l’archevêque, immense dans l’église, n’était pas moindre dans l’état. Il était de droit chancelier de Castille et primat d’Espagne ; dans toutes les affaires qui se traitaient en conseil, il opinait immédiatement après le roi. Il possédait un si grand nombre de fiefs et de bénéfices, que ses revenus étaient énormes. Les rois de Castille avaient souvent brigué cet archevêché pour les princes leurs enfans, car la puissance qui y était attachée était rivale de celle de la couronne. Dès que le siége fut vacant, Ferdinand exprima le désir d’y voir nommer son fils naturel, don Alphonse d’Aragon, qui était déjà archevêque de Saragosse ; mais Isabelle, de qui seule dépendait le choix du nouveau prélat, refusa de se rendre au vœu de son mari. Malgré l’usage, qui avait toujours voulu que ce poste éminent ne fût rempli que par des hommes de la plus haute naissance, elle y appela Ximenès. Cette nomination fut accompagnée de circonstances caractéristiques qu’il est curieux de rappeler.

Les historiens de Ximenès disent que la reine, s’attendant à une grande résistance de la part de son confesseur, garda soigneusement le secret de la résolution qu’elle avait prise. Elle écrivit elle-même à Rome, sans en parler à personne, pour presser l’expédition des bulles. Dès qu’elle les eut reçues, elle fit venir Ximenès un jour de quadragésime, et lui remit brusquement une lettre du pape qui portait pour suscription : À notre vénérable frère François Ximenès, archevêque de Tolède. À la lecture de cette adresse, Ximenès changea de couleur, baisa respectueusement la lettre sans l’ouvrir, et la rendit à la reine en disant : « Cette lettre ne peut être pour moi. » Puis il sortit de l’appartement, et partit en toute hâte de Madrid, où s’était passée cette scène, pour aller assister, selon sa coutume, à l’office de la semaine sainte, dans un couvent de son ordre à Ocaña.

La reine le laissa d’abord sortir sans mot dire, mais elle dépêcha bientôt après lui plusieurs des plus grands seigneurs de la cour. « Ceux-ci étant bien montés, n’eurent pas beaucoup de peine, dit un historien de sa vie, à joindre un homme qui marchait à pied, qui était chargé d’habits pesans, et qui était affaibli par le jeune du carême. » On eut besoin de très grands efforts pour obtenir de lui qu’il reprît le chemin de Madrid ; arrivé là, ni les instances de la reine ni celles de ses amis ne purent le fléchir ; il refusa. Son seul désir, disait-il, était de passer le reste de ses jours dans la pratique de ses devoirs monastiques, et il se sentait moins de goût et de capacité que jamais pour