conquise sur les Maures, près des deux tiers de l’Espagne actuelle. Ce puissant royaume avait conservé ses lois et son administration à part et ne reconnaissait d’autre autorité que celle d’Isabelle. L’Aragon, comme le plus faible, était amené tôt ou tard à adopter les mesures de gouvernement qui avaient d’abord été prises en Castille. Le génie sombre et sévère de cette province, personnifié par sa reine, finit ainsi par s’imposer à toute l’Espagne.
Voici un exemple de la lutte secrète qui existait, entre Isabelle et Ferdinand. L’année même de la prise de Grenade, le 31 mars 1492, fut rendu le fameux décret qui chassait tous les juifs de la Péninsule. On raconte que les juifs, ayant été prévenus d’avance de ce qui se préparait contre eux, firent offrir à Ferdinand 30,000 ducats pour les frais de la guerre, s’il renonçait au projet d’expulsion. Ce prince calculateur fut ébranlé par ces offres séduisantes, et il est probable qu’il aurait fini par ramener Isabelle, si le grand-inquisiteur Torquemada n’avait pas été averti à temps. Le fougueux dominicain se présenta, un crucifix à la main, devant le roi et la reine, et leur dit : « Judas a le premier vendu son maître pour trente deniers ; vous pensez à le vendre une seconde fois pour trente mille pièces d’argent. Le voici ; prenez-le, et hâtez-vous de le vendre. » Ces fanatiques paroles ne firent sans doute que peu d’impression sur Ferdinand ; mais la conscience d’Isabelle s’en effraya ; et le décret fut rendu. Huit cent mille juifs quittèrent l’Espagne, emportant pour la plupart des trésors considérables, malgré la défense qui leur en avait été faite. En comptant les Maures qui passèrent en Afrique avec Boabdil, l’émigration qui eut lieu dans l’année passa un million d’hommes. Le fatal système qui a dépeuplé l’Espagne commençait à s’établir.
Ces dispositions d’Isabelle ne purent que s’accroître par le choix d’un confesseur tel que Ximenès. Le frère Fernando de Talavera, qui avait dirigé, auparavant la conscience de la reine, était un prêtre doux et tolérant dont l’influence avait toujours tendu vers la modération. Ximenès se déclara au contraire pour toutes les mesures excessives, tant en politique qu’en religion. On s’étonne que le cardinal Mendoza, qui était un prélat de mœurs brillantes et faciles, ait pu désigner un homme aussi différent de lui-même. Ce cardinal, qu’on avait coutume d’appeler le troisième roi d’Espagne, exerçait le plus grand ascendant sur les rois catholiques. Il était en tiers dans tous les actes d’habile administration qui avaient précédé. Associé à la gloire de ses souverains comme à leurs travaux, sa croix archi-épiscopale avait été le premier étendard chrétien arboré sur l’Alham-