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lités et ses défauts sont en parfaite harmonie avec les qualités et les défauts du génie national. Froid, pratique, positif, profondément politique, Ferdinand n’avait aucun de ces traits brillans qui commandent l’admiration des Espagnols. Isabelle, au contraire, était ardente, chevaleresque, pleine d’entraînement, d’une imagination vive et exaltée. Ce caractère a beaucoup contribué à donner à son temps la singulière grandeur qui le distingue, mais il a eu aussi des résultats dangereux que toute l’habileté de Ferdinand n’a pu prévenir. Sans Isabelle, Christophe Colomb, ce chercheur sublime, n’aurait pas obtenu les moyens de trouver un monde ; mais les institutions qui ont fait depuis la perte de l’Espagne, n’auraient pas non plus pris naissance. Fatale compensation qui fait quelquefois douter des plus grandes choses et des plus généreux sentimens.

Il faut être bien profondément pénétré des sévères devoirs de l’histoire pour se résoudre à parler ainsi d’Isabelle. Plus d’un trait de sa vie montre en elle tout ce qui peut faire aimer la femme et la reine. Elle passa ses premières années dans la tristesse et presque dans l’indigence, et, quand elle eut été tirée de son obscurité pour monter sur le trône, elle ne cessa pas d’être malheureuse. Son nom servit de drapeau à un parti qui déshonora son frère Henri IV, prince misérable et odieux. Elle fut unie par la politique à un homme qui avait deux ans de moins qu’elle, et dont le caractère fut en opposition constante avec le sien. Son fils unique, don Juan, périt à la fleur de l’âge ; sa fille aînée, dona Isabelle, le suivit de près ; son petit-fils, don Michel, qui devait réunir sur sa tête les trois couronnes de Castille, d’Aragon et de Portugal, mourut au berceau. Il ne lui resta qu’une fille dont le déplorable surnom montre combien elle dut exciter les douleurs maternelles, Jeanne-la-Folle. D’une piété naturellement enthousiaste, Isabelle ne put que courber de plus en plus son ame brisée sous la main de Dieu qui la frappait ainsi. De là cette faiblesse passionnée qui la livrait sans défense aux conseils les plus violens, quand ils lui étaient donnés au nom du ciel.

Ferdinand eut soin toute sa vie de ne pas trop contrarier la reine, dont il connaissait la sensibilité maladive. La part qu’Isabelle avait apportée dans l’union des deux couronnes était d’ailleurs la plus grande et la plus belle. Ce qu’on appelait alors le royaume d’Aragon était composé de l’Aragon proprement dit, de la Catalogne et de Valence ; le royaume de Castille, bien plus étendu, comprenait les deux Castilles, le royaume de Léon, la Biscaye, les Asturies, la Galice, l’Estramadure, Murcie, et toute la portion de l’Andalousie déjà