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LE CARDINAL XIMENÈS.

puissante. Les Espagnols appelaient Ferdinand et Isabelle les rois, allusion à la distinction des deux couronnes de Castille et d’Aragon ; le pape y ajouta l’épithète de catholiques, un seul mot qui a eu des conséquences incalculables pour l’avenir de l’Espagne. Ce n’était pas en effet un vain titre que Rome avait entendu conférer ; c’était un droit et comme une fonction. Il y avait sous ce nom de royauté catholique (les documens du temps en font foi) une idée de monarchie universelle et de suprématie religieuse ; c’était quelque chose comme l’ancienne notion du saint empire romain, sous une forme plus précise et plus régulière.

On comprend tout ce qu’un pareil titre dut ajouter d’éclat à la royauté espagnole victorieuse. Les populations chrétiennes vénéraient en elle la mandataire de Dieu même et la souveraine désignée de la catholicité. La découverte de l’Amérique, de ce nouveau monde ouvert aux conquêtes de la foi, ajouta une gloire de plus à tant de gloires. Il n’est pas étonnant qu’à ce faîte des grandeurs humaines et divines, les rois catholiques aient pu se faire une idée démesurée de leurs devoirs et de leurs droits.

Il est certain cependant que l’Espagne ne partagea pas l’ivresse de ses souverains. Ses vieilles libertés résistèrent. Les nobles se défendirent dans leurs domaines, les cortès maintinrent leurs priviléges. C’était dans la grande réunion des cortès à Tolède, en 1480, que la plupart des réformes introduites par la couronne avaient été consacrées ; ces assemblées, qui avaient donné force à l’autorité royale quand elle avait voulu faire le bien du pays, luttèrent à leur tour pour la liberté, quand la liberté fut menacée. L’opposition qui se manifestait dans l’ordre politique, éclata aussi dans l’ordre religieux. Dès les premières années de l’avènement de Ferdinand et d’Isabelle, la tendance qui devait dominer plus tard s’étant déclarée par l’établissement du tribunal de l’inquisition, tout le pays l’avait combattue. Les cortès avaient protesté ; le peuple avait pris les armes ; le premier Inquisiteur d’Aragon, Pierre Arbues, avait été assassiné dans la cathédrale de Saragosse. Cette double résistance dura long-temps ; il fallut beaucoup d’efforts et de sang pour l’étouffer. Livré à lui-même, Ferdinand n’aurait pas voulu aller jusqu’au bout de la lutte, mais il y fut entraîné par la reine.

Dans leur admiration traditionnelle pour les rois catholiques, les Espagnols font une place à part à Isabelle. Cette prédilection se conçoit aisément. Isabelle est une des figures les plus intéressantes du moyen-âge, en même temps qu’elle est une des plus fières ; ses qua-