Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/520

Cette page a été validée par deux contributeurs.
516
REVUE DES DEUX MONDES.

rappeler par ses épreuves. Puis il revint à Tolède, où il se livra à la prédication. Son succès devait être immense ; il le fut en effet. Chacun voulait entendre cet homme qui avait quitté pour le cloître les dignités ecclésiastiques, et qui reparaissait au monde édifié des sévérités de sa vie. Le nombre de ses pénitens devenait chaque jour plus considérable, quand il prit tout à coup une seconde résolution aussi inattendue que la première. Il quitta Tolède, la chaire, les témoignages de vénération de la foule, et alla s’enfermer dans l’ermitage solitaire de Notre-Dame de Castañar, ainsi nommé d’une forêt de châtaigniers où il était enseveli.

Cette nouvelle rupture avec le monde fit beaucoup de bruit. L’ermitage de Notre-Dame était dans un site sombre et sauvage, au milieu de montagnes inhabitées. Ximenès s’y bâtit de ses propres mains une étroite cabane, et y demeura trois ans entiers, consumant les nuits et les jours en méditations et en prières, et vivant à la manière des anciens anachorètes, de l’herbe des rochers et de l’eau des ruisseaux. Que se passait-il dans cette ame profonde pendant les longues heures de sa solitude ? C’est ce que nul ne peut dire. Était-ce réellement l’exaltation religieuse qui avait poussé Ximenès à se jeter ainsi par deux fois, après avoir passé l’âge de cinquante ans, dans toutes les rigueurs volontaires de l’expiation ? Ce qui avait suffi aux années agitées de sa jeunesse ne suffisait-il donc plus aux jours habituellement plus calmes d’un âge plus avancé ? Voulait-il écarter par une aspiration constante vers le ciel quelque passion secrète qui le ramenait sans cesse vers la terre ? Était-il poursuivi jusque sous la discipline de rêves ambitieux et dominateurs qu’il essayait d’étouffer ? N’était-ce enfin pour lui qu’un besoin vague et confus d’étonner les hommes, d’attirer sur lui de plus en plus l’attention de l’Espagne, et de flatter son temps par le spectacle qui répondait le plus à l’ardeur des passions religieuses ?

L’orgueil humain est bien ingénieux dans la diversité des formes qu’il peut prendre. Le vœu d’abnégation et d’humilité n’a été souvent, au moyen-âge, que le préliminaire des plus grandes fortunes. Plus un homme célèbre et admiré affectait de se cacher dans les profondeurs du cloître, plus les populations enthousiastes étaient entraînées à l’y chercher pour le mettre à leur tête, et les retraites les plus sévères étaient en même temps les plus illustres. De tous côtés, les regards étaient tournés vers ce toit de feuilles perdu dans un désert affreux, vers cet homme seul qui creusait sa tombe, et toutes les voix prononçaient avec respect le nom du pauvre ermite de Castañar. Il