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de guerre qui la produit et la multiplie y avait été en quelque sorte permanent.

Si les nobles étaient puissans et superbes, les villes ne l’étaient pas moins. Les villes sont nées en général de la nécessité de s’enfermer dans des asiles fortifiés contre les incursions armées qui dévastaient les campagnes ; il avait dû naturellement s’en élever en foule sur toute l’Espagne. On en comptait quatre cents dans le seul royaume de Grenade. La plupart de ces villes étaient très riches, très peuplées, très attachées à leurs anciens droits. L’esprit communal, qui a été partout si vivace en Europe, n’a nulle part été poussé plus loin que dans ces nobles cités castillanes, aragonaises, catalanes, dont les noms retentissent si haut dans l’histoire. Leurs représentans étaient nombreux et influens dans les cortès, et leurs prétentions hautaines et respectées, si bien qu’il y en a eu dont les magistrats ont aspiré à l’honneur, réservé aux grands, de se couvrir en présence du roi.

Le commerce et l’industrie, si déchus depuis, florissaient à l’ombre de leurs murailles ; les produits de leurs manufactures, lames de Tolède, cuirs de Cordoue, draps de Ségovie, soieries de Séville, étaient célèbres par toute l’Europe : chacune de ces villes occupait des milliers de métiers, pendant que d’innombrables vaisseaux sortaient sans cesse de Barcelone, de Valence, de Carthagène, de Malaga, de Cadix, pour les exportations en Italie, en France, en Afrique, dans le Levant. Les marchands de la Péninsule jouissaient de grands avantages dans les pays voisins, et les usages maritimes de ses ports étaient adoptés dans les ports de toutes les nations, comme les règles du droit commercial. Les historiens nationaux ne tarissent pas sur les prodiges de cette activité industrieuse, et sur les richesses qu’elle attirait alors de toutes parts dans ces régions aujourd’hui désertées par le travail.

Tant d’abondance, d’ardeur et de liberté donnait à la nation entière une puissance d’expansion extraordinaire. Par le plus heureux concours de circonstances, un nouveau monde venait d’être livré à l’Espagne. La découverte de l’Amérique avait suivi de près la conquête de Grenade. En même temps que les armes espagnoles menaçaient l’Europe, elles abordaient le Mexique, le Pérou, ces régions merveilleuses où l’imagination rêvait encore plus de trésors qu’elles n’en ont produit. Un besoin d’aventures, de gain, de gloire, de plaisir, de danger, de mouvement, gagnait toutes les ames et enflammait tous les courages. Rien n’état assez lointain, assez hardi, assez