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REVUE DES DEUX MONDES.

Le sujet qu’il a traité, la destinée de l’esclave dans la Société antique, déjà minée sourdement par les idées chrétiennes, ce sujet vaste et magnifique serait aujourd’hui à la taille de bien peu de poètes. M. Soumet a porté le fardeau de sa tragédie un peu comme celui de son épopée ; il a fléchi, mais après des efforts qui méritent notre estime. En résumé, ces deux pièces sont tout-à-fait dignes de la scène qui les a accueillies. L’activité que montre la Comédie-Française prouve aussi qu’elle comprend à merveille la situation qui lui est faite par l’attitude du public et des écrivains. En des jours de lassitude et de stérilité, sa mission n’est pas de se complaire avec un calme dédaigneux dans le culte des vieux chefs-d’œuvre ; c’est de consacrer au contraire la meilleure part de son zèle aux essais et aux recherches ; c’est de hâter par tous les moyens le réveil de la vie dramatique. Ainsi fait la Comédie-Française : elle n’a pas trouvé récemment de ces œuvres éclatantes qui seules pourraient renouveler l’art et stimuler les poètes, mais enfin elle a cherché avec ardeur, avec persévérance ; elle cherche encore, et c’est quelque chose.


— Après avoir écouté M. Henry Mondeux, ce prodigieux enfant qui a deviné les mathématiques transcendantes en gardant les troupeaux, M. Alfred de Vigny, frappé de cette sorte d’intuition qui fait que Henri Mondeux avait résolu déjà, étant seul et inconnu dans les champs, des problèmes par les équations, sans savoir encore poser les chiffres et les nommer correctement, vient d’écrire hier, sur lui, les vers suivans :

LA POÉSIE DES NOMBRES.

Les Nombres, jeune enfant, dans le ciel t’apparaissent
Comme un mobile chœur d’Esprits harmonieux
Qui s’unissent dans l’air, se confondent, se pressent
En constellations faites pour tes grands yeux.
Nos chiffres sont pour toi de lents degrés informes
Qui gênent les pieds forts de tes Nombres énormes,
Ralentissent leurs pas, embarrassent leurs jeux.
Quand ta main les écrit, quand pour nous tu les nommes,
C’est pour te conformer au langage des hommes ;
Mais on te voit souffrir de peindre lentement
Ces Esprits lumineux en simulacres sombres,
Et, par de lourds anneaux, d’enchaîner ces beaux Nombres
Qu’un seul de tes regards contemple en un moment.
— Va, c’est la Poésie encor qui dans ton âme
Peint l’algèbre infaillible en symboles de flamme,
Et t’emplit tout entier du divin élément :
Car le Poète voit sans règle
Le mot secret de tous les sphinx,
Pour le ciel il a l’œil de l’aigle,
Et pour la terre l’œil du lynx.


V. de Mars.