Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/499

Cette page a été validée par deux contributeurs.
495
REVUE MUSICALE.

public, tant d’efforts et de manœuvres échoueront, et Meyerbeer, si tant est que sa partition soit terminée, ce que plusieurs affirment et ce que nous persistons à ne pas croire, nous qui puisons nos informations à bonne source, Meyerbeer attendra, pour se dessaisir, que des temps et surtout des cantatrices plus favorables à sa musique se rencontrent. On fera bien de chercher à se pourvoir ailleurs et promptement, car nous doutons que le Freyschütz, enrichi des inspirations de M. Berlioz, fournisse une longue carrière (M. Berlioz n’a pas la main heureuse au théâtre, chacun le sait), et le Freyschütz est l’unique nouveauté qu’on prépare. À propos du chef-d’œuvre de Weber, c’était d’abord M. Massol qui devait jouer Max, puis, comme on voulait donner à la chose plus de solennité, il fut décidé que Duprez chanterait ; aujourd’hui c’est définitivement M. Marié qui répète le rôle. Qu’on s’étonne ensuite des vicissitudes qui se disputent l’Académie royale de Musique. Il y a pour lire d’avance dans le répertoire de ce théâtre un procédé bien simple et qui ne trompe jamais. Il s’agit d’aviser toujours au rebours de l’affiche. Si l’affiche annonce Don Juan, tenez qu’on jouera Guillaume Tell ; si c’est Duprez qu’on vous promet, dites-vous : J’entendrai donc M. Marié. Cependant il faut croire que le public aime à voir clair dans ses plaisirs, et que si peu compliqué qu’il soit, le calcul ne lui va guère, car il déserte la place. L’occasion est belle et semble, en vérité, faite à souhait pour invoquer le nom de Meyerbeer Toutes ces fastueuses annonces ne prouvent qu’une chose, à savoir qu’on n’a pas une idée du caractère de l’auteur des Huguenots. Meyerbeer est l’homme du succès, Meyerbeer aime le succès, jusqu’à la superstition. Dès qu’il voit seulement une étoile poindre, il accourt ; un germe d’avenir, il le découvre et met toute sa gloire à le développer ; le culte du succès est inné chez lui, c’est un instinct. Mais si d’aventure il flaire quelque part la décadence, à l’instant même il disparaît, et jamais on ne le revoit plus. Alors commencent ces divagations sans nombre, ces courses d’Ulysse à travers toutes les eaux de l’Allemagne et de la Bohême, ces pérégrinations sans fin auxquelles sa santé ne sert que de prétexte. Au fond, ce n’est pas Meyerbeer qui souffre, c’est l’Académie royale de Musique ; Meyerbeer craint la contagion, voilà tout, et se tiendra le plus loin possible, jusqu’à ce qu’elle meure ou qu’elle renaisse.


H. W.