Puis c’étaient le triste mausolée, l’herbe sur la tombe isolée, remplaçant toutes ces divines paroles italiennes si faciles à chanter, à comprendre, et qui sont elles-mêmes une mélodie de plus dans la musique. Nous ne prétendons pas faire ici le procès de la traduction française de Lucia di Lammermoor ; il se peut que ce soit là une œuvre littéraire excellente, et notre blâme ne porte que sur la maladresse de Duprez, à qui du reste ses excentricités n’ont guère réussi ce soir-là.
Nous touchons au morceau le plus curieux de la représentation, au troisième acte d’Otello ; l’orchestre joue cette morne et sublime ritournelle que vous savez ; la toile se lève. Voici bien Desdemona, Mme Stoltz. Jusque-là nous n’y voulions pas croire ; plus de doute cependant. Cette fois l’affiche aura dit vrai, par hasard. La plaisanterie ira son cours. Mme Stoltz veut absolument qu’on l’inscrive au livre d’or des grandes cantatrices. Ô Pasta, Malibran, Sontag, Giulia Grisi, vous toutes qui avez chanté Desdemona, vous toutes qui vous êtes associées de l’ame et de la voix à cette inspiration de Shakespeare et de Rossini, à ce glorieux chef-d’œuvre de la poésie et de la musique ! ouvrez vos rangs, car une harmonieuse sœur vous est donnée, car la grande cantatrice de l’Opéra va prendre place en votre olympe, et la harpe de Desdemona dans les mains, les cheveux dénoués, les regards baignés de pleurs tragiques, Mme Stoltz vient s’asseoir parmi vous sous le saule, a l’ombra del salice. — Mais parlons du récitatif de Desdemona. Que de mélancolie profonde il y a dans cette musique du grand maître ! comme cela soupire la douleur et la plainte ! comme cette phrase entrecoupée, où les souvenirs d’Isaure se mêlent à des pressentimens de mort, sert d’admirable introduction, de prolégomène à l’élégie du Saule, chant sublime, véritable chant de cygne s’il en fut ! Mme Stoltz a dit cette mélodieuse rêverie sans aucune intelligence du sentiment élevé qu’elle renferme, s’arrêtant en dépit de la mesure, continuant de même, gesticulant à faux (sans doute pour que son geste se trouvât en parfaite harmonie avec sa voix), et prouvant par ses inflexions et sa pantomime qu’elle ne comprenait pas un mot aux paroles. Il semblait que c’étaient pour elle autant d’hiéroglyphes, presque de la musique. Il fallait entendre cette prononciation ! Jamais la langue de Pétrarque et de Cimarosa, de Rubini et de Giulia Grisi, n’eut à soutenir si rude assaut. C’était sans doute la première fois de sa vie que Mme Stoltz chantait de l’italien, et voilà ce qu’on devait faire savoir au public, qui, à cette considération, se fût montré plus indulgent. Mais silence : écoutez dans l’orchestre ces harpes qui préludent. Ici le sérieux s’arrête, et commence au cœur même de la tragédie un intermède comique des plus divertissans. Mme Stoltz, dans son ignorance profonde de la langue italienne, ne saurait en pareille occasion se passer de l’aide incessante du souffleur. Or, au moment de chanter le Saule, notre prima donna s’aperçoit qu’elle s’est placée trop loin, et que les paroles du mystérieux soupirail n’arrivent que peu distinctes à son oreille. La situation devenait grave, il s’agissait dès-lors ou de s’exposer à rester en suspens faute d’un mot, au beau milieu d’une gamme chromatique, ou d’avancer de quelques pas. Mais la romance du Saule se