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d’œuvre. Rien n’y manquait, ni les pluies de fleurs, ni les petits billets qu’on vous jette à tout instant, illustres virtuoses, pour vous demander quelque duo, quelque cavatine en dehors du programme. Il y avait même des couronnes de laurier. Nous en avons compté deux, une pour M. Duprez, l’autre pour Mme Stoltz, couronnes qui ne laissaient pas de rappeler un peu celle que Potier colportait si plaisamment sous sa veste dans le Bénéficiaire. En fait d’ovations glorieuses au théâtre, parlez-moi des couronnes ; au moins avec celles-là, on sait à quoi s’en tenir. On se les fabrique soi-même le matin, en famille, dans son cabinet ou son boudoir ; puis à l’heure dite, au signal convenu, vous les voyez tomber à vos pieds : pour les bouquets, c’est différent ; il y a, dans ces gerbes de fleurs qu’une salle entière jette aux comédiens, quelque chose de spontané, d’unanime et d’imprévu, que l’enthousiasme seul provoque et qui ne saurait être préparé d’avance. Mais la couronne, c’est le triomphe organisé, la vapeur appliquée au succès, le dernier terme en un mot de la civilisation dramatique !

Le spectacle commençait par le premier acte du Barbier, c’est-à-dire par ce qu’on avait de meilleur à produire. Barroilhet, dans l’air de Figaro, a réalisé tout ce qu’on pouvait attendre du chanteur le plus intelligent, le plus consommé, le plus rompu aux mille artifices, aux mille roueries du chant italien. Quelle verve, quel entrain, quel brio ! Depuis Pellegrini, jamais on n’avait assisté à pareille fête. C’était débuter à merveille, et certes, il faut l’avouer, avec un ténor et une prima donna de la trempe du baryton, la soirée aurait bien pu avoir son côté sérieux. Mais patience. Comme on ne pouvait se passer de Barroilhet, on s’était arrangé de manière à l’évincer à temps. À huit heures et demie, c’est-à-dire à l’heure où le véritable public vient, tout était fini pour le virtuose italien. Dans la nécessité où l’on s’était vu de faire appel à son talent, on avait combiné les choses de façon à le reléguer dans les évolutions sans conséquence du prologue. Duprez était un bénéficiaire trop discret pour oser demander à son camarade quelque intermède de son répertoire, la scène de Torquato Tasso par exemple. Nous parlions de Pellegrini tout à l’heure ; c’est qu’en effet on ne peut s’imaginer à quel point Barroilhet rappelle ce chanteur dans Figaro, et cela non-seulement dans la vocalisation et ce qui touche à la musique, mais jusque dans sa manière de dire ou plutôt de jeter le récitatif. C’est la même aisance, le même geste vif et dégourdi, le même aplomb imperturbable, et franchement nous ne savons pas de meilleur éloge à lui faire. Rossini eût retrouvé là son Figaro d’il y a vingt ans. Mme Dorus a chanté la partie de Rosine en cantatrice française bien apprise, en virtuose irréprochable, qui se garderait bien de méconnaître la valeur d’un point d’orgue noté par Bordogni. Aux Italiens, c’est Mme Albertazzi qui joue ce rôle, et qui se charge de provoquer les frémissemens de la salle avec cette jolie cavatine de Una voce poco fa. Aviez-vous jamais soupçonné que Mme Albertazzi fût une grande cantatrice ? Il paraît cependant qu’il faut le croire. Qu’on doute ensuite de la puissance de certains parallèles ! Nous nous taisons sur Duprez dans le premier acte du Barbier. Vouloir chanter le même soir