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REVUE MUSICALE.

meilleure partition de M. Thomas. Il y avait dans ces petits motifs heureusement trouvés, dans ces ariettes de bon goût et d’une expression parfois mélancolique, dans ces jolies phrases, comme un souvenir du vieux temps, comme un écho rajeuni de Dalayrac ; et ces facultés instinctives, modifiées avec toute convenance, auraient pu, aujourd’hui que chacun vise au grandiose et que les plus médiocres cerveaux prétendent fraterniser avec Beethoven, auraient pu, disons-nous, faire à M. Ambroise Thomas une place originale, une place à part dans la musique contemporaine. C’est avec regret que nous avons vu M. Thomas abandonner sa première manière et se jeter corps et ame dans l’imitation de Donizetti, lui qui pouvait si facilement aspirer à recueillir un jour l’héritage d’Auber. Mais le moyen de ne pas faire comme les autres ! le moyen, quand on possède en soi un grain d’originalité, de ne point aller le délayer dans la cuve commune où s’élaborent les grands chefs-d’œuvre du siècle ! C’est quelque chose pourtant que l’instinct mélodieux, n’en eût-on que la somme qu’il en fallait pour écrire la Double Échelle et le Perruquier de la Régence. Il n’y a dans le Comte Carmagnola qu’un morceau, qu’une phrase, le duo d’amour du second acte ; et cette idée pleine de charme et de sentiment, c’est à son inspiration naturelle, à son inspiration d’autrefois, que M. Thomas la doit. Pourquoi, lorsqu’on peut trouver dans son propre fonds de semblables motifs, chercher à se traîner à la suite des autres ? pourquoi surtout ne pas savoir attendre l’occasion favorable de se produire et tenter le sort en d’aussi malheureuses conditions ?

Arrivons au bénéfice de Duprez ; cette fois au moins on ne dissimulait pas ses prétentions. Que sert la modestie dans un temps où l’outrecuidance et la vanité sont de mise ? Rengorgeons-nous donc tant que nous pouvons, payons d’audace et d’amour-propre, et, si petits que la nature nous ait faits, dressons-nous sur nos talons, levons la tête, et faisons mine d’avoir six pieds de haut. Il s’agissait donc de jeter un défi dans les règles au Théâtre-Italien, de porter à ces pauvres virtuoses que vous savez une botte dont aucun d’eux ne se relevât. Au fait, les Italiens nous assomment ; pourquoi souffririons-nous plus long-temps ces oisifs de la musique, ces parasites de l’art qui nous imposent des contributions énormes, quand nous avons sous les mains de quoi les remplacer ? Est-ce que Mme Dorus-Gras ne vaut pas la Persiani, par hasard, Mme Stolz la Grisi, et M. Massol n’est-il pas fait pour en remontrer à Rubini ? Les merles chantent mieux que les rossignols, qui en doute ? Malheureux théâtre, le vertige le prend, la tête lui tourne, et c’est quand il ne peut même pas suffire à son répertoire, le plus monotone de tous les répertoires, que l’idée lui vient d’empiéter sur le domaine d’autrui et de s’aventurer dans une lutte à outrance avec des chanteurs dont le souvenir seul ruine d’avance par le ridicule toute entreprise de ce genre. Voyez cette affiche : Otello, Lucia. Ô Rubini, Tamburini, Giulia Grisi, Fanny Persiani, où donc étiez-vous samedi ? C’était cependant bien le cas de passer le détroit pour venir assister à cette parodie de toutes vos magnifiques soirées de Favart et de l’Odéon, à cette admirable parodie, taillée jusqu’aux moindres détails sur le patron du chef-