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REVUE LITTÉRAIRE.

nos jours aient trouvé des adeptes, et, à l’égard des fouriéristes, mon seul étonnement est qu’ils ne soient pas plus nombreux. Lorsqu’on s’aventure à les suivre dans l’un des huit cent mille palais qu’ils bâtissent sur le globe, et que, de leur point de vue, on se représente cette vaste mécanique dont les pièces sont des êtres humains ; lorsqu’on voit fonctionner cet engrenage de toutes les passions, qu’on s’arrête au tableau de cette ivresse perpétuelle, de cette saturation facile de tous les égoïsmes, on finit par éprouver une sorte de vertige, une hallucination que j’ai moi-même ressentie par instans, je l’avoue, et à laquelle on succomberait, si on ne ressaisissait pas au plus tôt certains principes à l’aide desquels on se relève. Aux chimères des régénérateurs, à leurs promesses décevantes, opposons des paroles vraiment éloquentes et pleines d’un sentiment élevé qui règne constamment dans les conclusions de M. Reybaud[1] : « Où irions-nous, grand Dieu ! si on ne nous laissait que nos vices, en nous enlevant jusqu’au sentiment de nos dernières vertus ? Ainsi, tout ce qui a jusqu’ici commandé l’estime de la foule, l’honneur, l’héroïsme, le désintéressement, la pauvreté noblement soufferte, la probité irréprochable, le respect de la foi jurée, le détachement, le dévouement au pays, à la famille, toutes ces qualités, qui résultent de l’éducation de l’âme, de la volonté, de la réflexion, ne seraient plus que des sentimens vains, des titres sans valeur, contestables, arbitraires, des puérilités indignes de louanges ! Dans aucune des sociétés que l’on nous façonne, il n’y a de place pour ces mérites qui sont le résultat d’un travail et souvent le produit d’un grand combat. On promet à l’homme de le rendre heureux, mais d’un bonheur passif, inerte, indépendant de ses efforts. Nous sommes fatalement condamnés à la félicité terrestre, et chercher des vertus en dehors de nos instincts, c’est résister à nos destinées. Il est à craindre que nos sociétés ne perdent, au contact de ce singulier enseignement, le peu de honte et de pudeur qui leur reste… Il est temps d’oublier les systèmes fantastiques pour un système réel ; pour le formuler en peu de mots, il suffirait de renverser les termes des trois théories que nous avons parcourues, et de reconnaître comme instrumens nécessaires du progrès social, l’autorité dans l’ordre moral, et surtout l’autorité de l’exemple ; dans l’ordre économique, la liberté. »

Un dernier mot sur les disciples de Fourier. Il ne faut pas se flatter de les ébranler par la discussion. Le langage des faits est le seul qu’ils daigneront écouter ; l’expérience seule se fera comprendre. Par une étrange inconséquence, ces mêmes hommes qui déïfient l’humanité commencent par destituer la raison humaine. Le mépris qu’ils font de tous les arts qui ont pour but de régulariser l’exercice de la pensée, éclate souvent dans les écrits qui émanent de leur école, et particulièrement dans ceux de M. Considérant. Certes, dit-il, ce ne sont pas les querelles théologiques et politiques, ni les vanités idéologiques, métaphysiques et contradictoires de la philosophie

  1. Études sur les réformateurs, pag. 308 et suiv.