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manifeste, n’est pas d’abolir la propriété, mais seulement de modifier les moyens par lesquels elle se transmet ; et quant au mariage, au lieu de le répudier, ils prétendent le réhabiliter en préparant une union plus vive et plus sincère entre les époux. Cette réponse évasive n’était qu’un palliatif pour calmer les inquiétudes de la foule ; mais elle n’était pas une solution qu’on pût offrir à la foi des adeptes. La controverse s’établit donc au sein du collége saint-simonien sur la grande question de l’affranchissement de la femme, et le seul résultat de la discussion est une rupture entre les deux chefs de l’école, M. Bazard et M. Enfantin. Ce dernier déploie toute sa puissance de fascination, toute la subtilité de son esprit pour éviter les explications positives, pour assoupir les scrupules et atténuer le mauvais effet des dissidences. Un jour enfin, à cette demande formulée nettement par M. Olinde Rodrigue : Tout enfant pourra-t-il, dans la société saint-simonienne, reconnaître et nommer son père ? M. Enfantin oublie sa réserve jusqu’à répondre que la femme seule devait être appelée à se prononcer en cette grave question. Aussitôt le scandale fait éclat, et des défections nombreuses entraînent la déroute complète du saint-simonisme.

L’expérience n’est pas moins fatale à la doctrine d’Owen. Chef d’un vaste établissement industriel, le réformateur anglais achète au prix de sa fortune la confiance de ses ouvriers, il combat leurs mauvais penchans avec la persévérance la plus ingénieuse, établit des écoles pour l’enfance, des secours pour les infirmités, des récréations après le travail, associe chaque ménage au bénéfice d’une économie bien entendue, élève enfin les ames qu’il dirige à ces sentimens de sérénité et de douce expansion auxquels dispose le bien-être. Cette merveilleuse transformation séduit un instant la société anglaise : on ne daigne pas voir qu’elle est l’œuvre de la patience, du zèle affectueux, du désintéressement, en un mot des vertus évangéliques contre lesquelles le réformateur s’élève si ridiculement dans ses écrits. On ne remarque pas que le beau résultat obtenu par M. Owen est moins favorable à sa propre théorie qu’à l’ancien état de choses, puisqu’il y a à New-Lanark, non pas une communauté réelle, mais un capitaliste et des salariés, un entrepreneur désintéressé et des ouvriers laborieux. Par une illusion fort excusable, le philantrope anglais ne voit dans la colonisation de New-Lanark qu’une tentative préparatoire, et il se promet des merveilles d’une réalisation pleine et entière de ses principes. Il se rend en Amérique pour y fonder, à ses risques et périls, un établissement où doit régner l’égalité parfaite et la communauté absolue. Un programme aussi séduisant ne manque pas son effet, et le réformateur voit accourir à lui cette partie maladive des populations que M. Reybaud a vivement caractérisée, « les ames enthousiastes et mobiles, les existences déclassées et suspectes, qui s’agitent toujours à l’entour de la nouveauté. » Cette fois encore, les qualités sympathiques de M. Owen exercent une certaine influence, et pourtant le miracle annoncé reste imparfait : le régime de la communauté ne peut s’établir franchement, et le mouvement s’arrête faute