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toutes les cupidités obtiennent satisfaction pleine et entière, telle est la grande découverte que Fourier se flatte d’avoir faite, et dont ses nombreux disciples poursuivent ardemment la réalisation. L’homme, dit à son tour M. Owen, n’est ni bon ni méchant par nature ; la condition où il prend naissance, l’éducation qu’il reçoit, les influences qu’il subit, déterminent en lui des penchans qui deviennent irrésistibles. Il est donc absurde et odieux de le rendre responsable de ses actes ; les châtimens et le mépris sont des injustices, de même que les distinctions et les récompenses sont des abus ; tous les hommes, égaux en moralité et en valeur personnelle, apportent en naissant des droits égaux ; la conclusion pratique de cette doctrine est le communisme, c’est-à-dire la mise en commun et le partage égal de tous les biens et avantages de ce monde.

Je le répéterai : malgré les dénégations obstinées et inconcevables des novateurs, la conséquence fatale de ces diverses théories est le renversement des deux institutions sans lesquelles nous ne concevons plus aujourd’hui l’existence des sociétés, le mariage et la propriété : le mariage, qui contrarie les entraînemens sensuels ; la propriété individuelle, qui est pour chacun la mesure des jouissances auxquelles il peut prétendre. Les régénérateurs, je le sais, n’aiment pas qu’on transporte la discussion sur ce terrain ; ils s’y trouvent mal à l’aise. Les plus candides se font illusion de bonne foi, et se paient de sophismes pour se persuader à eux-mêmes qu’ils ne portent pas atteinte aux principes tutélaires. Les esprits pénétrans et trop énergiques pour reculer devant les conclusions évitent cependant de les formuler, et se retranchent dans une réserve commandée, disent-ils, par les préjugés de la foule. Cette politique est prudente, sinon généreuse. L’expérience en a déjà été faite : la reconstitution de la famille et de la propriété est l’épreuve définitive dans laquelle ont échoué toutes les théories aventureuses qui promettaient le renouvellement de l’ordre social. On peut s’en convaincre en parcourant cette galerie de portraits qui, sous la main habile de M. Reybaud, sont devenus des tableaux d’histoire

Lorsque les doctrines saint-simoniennes firent explosion, il y eut, dans le public un mouvement de curiosité sympathique. Il était difficile de ne pas s’intéresser à des hommes qui se présentaient avec la double séduction de la jeunesse et du talent, sacrifiaient à leur foi les avantages du présent ou les promesses de l’avenir, bravaient le martyre du ridicule pour faire triompher une doctrine ainsi résumée : amélioration du sort physique, moral et intellectuel de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. Il se trouva heureusement des esprits sévères pour rappeler que l’intention ne justifie pas toujours les moyens. Un cri d’alarme retentit jusqu’au sein de l’assemblée nationale, où les Saint-Simoniens furent accusés de prêcher la communauté des biens et la communauté des femmes. Sous le poids de cette dénonciation, les chefs de la réforme éprouvent le malaise que cause une flétrissure. Ils ont hâte de protester contre le projet qu’on leur attribue : leur intention, disent-ils dans un