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la vie des désœuvrés. Chaque jour d’ailleurs le nombre de ses compagnons d’oisiveté diminuait autour de lui. Les uns allaient se fondre dans la grande armée et se battre avec les Autrichiens, les autres prenaient du service à bord des bâtimens de guerre.

Comme il habitait un petit port de mer, il entendait parler presque à toutes les heures soit des nombreuses prises que les corsaires anglais faisaient sur nous, soit des captures que ramenaient les corsaires français dans les ports de la Manche. Tous ces récits enflammaient son imagination. Battre les Anglais ! prendre sur eux d’infernales revanches, et couvrir la plage de marchandises précieuses conquises à coups de mousquet ! quelle belle vie ! se disait-il.

C’était une belle vie en effet, toute moralité philosophique à part, celle des corsaires, pendant nos terribles luttes avec les Anglais ! Du fond de la Méditerranée jusqu’en Chine, la mer était couverte de bâtimens légers, attaquant avec une audace inouie, la promptitude et la voracité du vautour, des convois de vaisseaux chargés de poivre, de café, de toiles, de sucre, d’écaille ou d’or, et les prenant, les remorquant avec des hourras, des cris de victoire et de joie, derrière quelque rocher où le partage se faisait entre les vainqueurs. Le capitaine, lorsqu’il ajoutait à son titre celui d’armateur, prélevait un tiers de la prise, l’équipage réclamait le second tiers, l’autre tiers ne revenait pas toujours à l’état. Le vaisseau vidé était ensuite brûlé ou coulé bas, l’équipage vaincu devenait ce qu’il pouvait. Pris près des côtes amies, il était fait prisonnier, sinon on le débarquait sur quelque plage, la première venue, de peur d’avoir à nourrir trop long-temps des gens inutiles et souvent dangereux par leur nombre. C’était la guerre.

Décidément, voilà le métier qui me convient, se dit Jérôme Harbour, le métier de corsaire. En le prenant, je n’irai pas contre la volonté de mon oncle, puisqu’il a fermé la bouche, le cher homme, avant d’avoir terminé la liste des professions parmi lesquelles il désirait que je fisse un choix. Le choix est décidé.

Pour exercer cette périlleuse industrie, il ne se mit en quête ni d’un beau navire ni d’un navire neuf. Offrir peu de surface, beaucoup de longueur, tenir la mer par tous les temps, fendre la vague avec facilité, déplacer peu d’eau, afin d’aborder le plus près possible des côtes, et s’échouer au besoin sur le sable, aller comme le vent pour ceux qui vont vite, aller comme l’éclair pour ceux qui vont comme le vent, telles étaient les qualités essentielles du navire qui remplirait ses vues. En ces temps d’agonie commerciale, les bâtimens coûtaient