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LE
CAPITAINE GUEUX.

On aurait difficilement obtenu de voir les lettres en vertu desquelles Jérôme Harbour, — que plus loin nous ne nommerons plus que Grenouille pour nous conformer aux traditions locales, — prenait ou se laissait donner le titre de capitaine. Sur les bords de la Manche, depuis Cherbourg jusqu’à Saint-Valéry et fort au-delà, personne n’a jamais connu Jérôme Harbour ; et qui n’y a pas entendu parler du capitaine Grenouille ? Son oncle, honnête tisserand de Vannes, lui dit au moment de mourir : « Je te lègue vingt mille francs honorablement gagnés, mais à la condition que tu les emploieras ou dans le commerce des chanvres, ou dans celui des toiles, ou dans celui… » Le vieil oncle mourut avant d’avoir pu achever la série des clauses conditionnelles, en sorte que le neveu se crut en droit, sans léser sa conscience d’héritier, de ne s’arrêter à aucune, et de donner aux vingt mille francs une destination plus à sa guise. Quoique Jérôme Harbour n’eût alors que vingt-quatre ans, il ne comptait pas moins de quatorze années de navigation. D’abord mousse, il avait été ensuite matelot, puis il était resté matelot. Il s’était arrêté là, point extrême, borne presque infranchissable pour les marins qui n’unissent pas la théorie à la pratique. Ce n’est pas que ses parens ne l’eus-