Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/45

Cette page a été validée par deux contributeurs.
41
LE SALON.

leté comme il convient à un talent tel que le sien, mais non sans user sensiblement les ressorts qu’il met en œuvre. Les habitudes de main sont très dangereuses surtout dans les peintres spéciaux. M. Gudin est peut-être déjà arrivé à ne plus guère peindre que de pratique. Il fait une mer calme, une mer agitée, un vaisseau qui saute, un vaisseau qui coule en un tour de main, et toujours bien, comme on fait un paraphe. C’est là ce qui rend compte en partie de sa prodigieuse fertilité. Aussi ses peintures semblent n’avoir pas de corps ; elles amusent plus qu’elles n’attachent ; et l’on s’étonne, tout en admirant le talent facile, ingénieux, brillant et même original de l’artiste, de ne pouvoir pas les prendre tout-à-fait au sérieux. La cause en est peut-être que M. Gudin ne voit la nature qu’à la surface ; il n’en a pas le sentiment profond ; et l’on peut dire de ses peintures, ce que nous avons déjà appliqué à d’autres, que si elles suffisent pour piquer la curiosité, elles n’atteignent ni l’ame ni la pensée. Pourrait-on rêver devant un Gudin comme devant un Alb. Cuyp ou un Backuysen ! Malgré ces restrictions, M. Gudin tient encore le premier rang dans ce genre qui, en France, n’a eu qu’un grand maître, Joseph Vernet.

Aux dix-sept tableaux de M. Gudin, nous ne trouvons à ajouter que la vue du Phare de Gatteville de M. Petit, quelques scènes historiques de M. Morel Fatio, un Clair de lune à la Vernet de M. Barry, et enfin quelques vues intéressantes de MM. Hip. Garnerey et Mozin.

Portraits — Il y a six cents portraits au salon. Si nous parvenons à en distinguer huit ou dix, qui aient sous le rapport de l’art une suffisante importance, nous n’aurons pas perdu notre peine.

C’est un fait digne d’observation que parmi le nombre immense de portraitistes de profession qui, en divers temps, en divers lieux, ont eu de la célébrité et de la vogue, et par conséquent du talent, c’est à peine si on en pourrait citer un dont le nom ait survécu, et dont les ouvrages aient conservé quelque réputation. Les exceptions à cette règle sont très rares. En France, par exemple, on se souvient de Petitot, qui, ayant porté la peinture sur émail à très haut degré de perfection a dû à cette circonstance d’une grande difficulté vaincue, autant au moins qu’à son talent, une place dans l’histoire de l’art ; de Latour, qui s’est illustré, par une circonstance analogue, dans le pastel, et enfin de Largillière et H. Rigaud. Mais ce ne sont pas là de grands noms. De nos jours nous avons assisté à l’immense fortune de Lawrence. Ses portraits seront-ils recherchés dans cinquante ans ou même le sont-ils encore ? Les portraits admirés et cités