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là leur pouvoir, et c’est dans ce sens que ces emblèmes d’autorité étaient reçus. Plus tard, les empereurs conféraient aussi aux rois barbares les titres de patrice et de consul, avec les marques distinctives de ces dignités, et ces rois croyaient que cela ajoutait quelque chose à leur puissance, tant le pouvoir suprême semblait appartenir naturellement à Rome.

Au surplus, la domination romaine en Afrique n’était pas seulement représentée par cette investiture que les chefs maures venaient lui demander ; elle avait d’autres moyens de force. Outre les légions qui campaient en Afrique, il y avait, sur les frontières des possessions romaines, des colonies militaires sous le nom de milites limitanei, qui cultivaient et défendaient le sol. Ces soldats se mêlaient par des mariages aux habitans du pays et formaient une population mixte, mais où dominaient les mœurs et les idées romaines.

Ainsi, dans le gouvernement des Romains en Afrique, il n’y avait rien de systématique, tout était divers, parce que le pays lui-même avait des degrés fort divers de civilisation : sur la côte où les Romains avaient depuis long-temps remplacé les Carthaginois, tout était romain, lois, mœurs et langage, et quand saint Augustin haranguait les habitans de ces villes maritimes, il traduisait en latin les proverbes puniques, parce que son auditoire n’entendait pas le punique[1]. Autour de ces villes, les terres appartenaient aux grands propriétaires romains ou au fisc, qui les faisaient cultiver par les anciens possesseurs, déjà réduits à l’état de serfs. Au-delà de cette bande plus ou moins large des villes et des terres romaines en Afrique, étaient les fundi, habités par des tribus sédentaires gouvernées par des chefs du pays, et parmi ces chefs, les uns se faisaient tout-à-fait romains et servaient sous les drapeaux des empereurs, les autres restaient plus isolés et plus indépendans. Outre les Maures sédentaires des fundi, il y avait des Maures nomades qui dépendaient aussi des Romains, car les Maures étaient tour à tour nomades ou agriculteurs, selon la nature de la contrée qu’ils occupaient. À côté des fundi, étaient les colonies militaires, sorte de garnisons romaines placées sur la frontière. Au-delà, enfin, étaient les populations indépendantes, qui, pourtant, n’avaient de chefs que ceux que Rome investissait du commandement. Il y avait donc en Afrique trois zônes différentes, la zône civilisée, celle de la côte et des terres placées

  1. « Proverbium nostrum est punicum, quod quidem latine vobis dicam, quia punice non omnes nostis. » (Serm. 25.)