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l’Égypte qui nous nourrissent, et la vie du peuple romain est livrée aux hasards de la mer !

Jusque dans les derniers temps de l’empire, l’Afrique garda le privilége de nourrir Rome. À cette époque, Rome, déjà moins fière, ne demandait plus à ses maîtres que du pain[1], et ce pain, Gildon le retenait, s’étant révolté en Afrique contre l’empereur Honorius. C’est alors aussi que Salvien disait avec une cruelle ironie que les barbares, en prenant l’Afrique, avaient pris l’ame de la république, parce qu’aux yeux du censeur chrétien cette vieille société matérialiste n’avait d’ame que le pain qu’elle mangeait.

L’annone africaine étant un des ressorts du gouvernement impérial, je m’explique aisément comment Néron fit périr les six propriétaires de la moitié de l’Afrique. Néron gagnait doublement à leur mort : d’abord il se débarrassait d’hommes qui pouvaient, par la famine, exciter une sédition à Rome, et de plus, par la confiscation de leurs biens, il enrichissait le domaine impérial et le mettait en état de satisfaire à la faim du peuple romain, la faim, seule et dernière mais terrible puissance qu’eût gardée le peuple romain. Les domaines confisqués faisaient en Afrique une administration particulière dont le chef s’appelait le préfet des fonds patrimoniaux, prœfectus fundorum patrimonialium, tant on s’inquiétait peu de dissimuler l’origine de ces biens. Je m’explique aussi comment on interdisait l’Afrique aux exilés ; ce n’était pas seulement parce qu’ils y auraient trop retrouvé les douceurs de la civilisation romaine : c’est parce que les empereurs ne se souciaient guère de peupler de mécontens une province dont dépendait le repos de l’empire.

Ainsi, sous les Romains, l’Afrique était admirablement fertile, puisqu’elle nourrissait l’Italie. Ainsi la propriété était entre les mains des Romains puisque les empereurs reprenaient par la confiscation ce que les grands de Rome avaient pris peut-être aux indigènes par l’expropriation ; mais l’expropriation, j’ai besoin de le répéter, s’était faite lentement et à mesure que la puissance romaine s’était consolidée.

Nous venons de voir l’état de l’agriculture et l’état de la propriété ; voyons maintenant l’organisation du gouvernement des Romains en Afrique. Je ne parle pas ici de la hiérarchie administrative des employés romains en Afrique ; je parle des moyens à l’aide desquels le pays était gouverné.

  1. Nunc pabula tantum, dit Claudien,
    Roma precor !