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L’AFRIQUE SOUS LA DOMINATION FRANÇAISE.

et l’agriculture s’améliorait de proche en proche. Après la conquête romaine, comme la propriété ne passa pas tout à coup entre les mains des Romains, et que la substitution se fit lentement, il n’y eut point de secousse ni d’interruption dans la culture du pays : la terre fut toujours cultivée, et l’Afrique garda sa fertilité.

À la même époque, les campagnes de l’Italie se changeant peu à peu en jardins de plaisance pour satisfaire au luxe des patriciens de Rome, l’Afrique fut chargée, avec la Sicile, de nourrir l’Italie, devenue trop fière pour gagner son pain à la sueur de son front. Rome ne demandait plus à ses empereurs que du pain et des spectacles, et l’Afrique était excellente pour ces deux choses, car elle avait beaucoup de blé et beaucoup de bêtes féroces, qui venaient, dans les jeux du cirque, se déchirer entre elles ou déchirer des hommes pour amuser les Romains. De là, l’importance qu’avait pour les empereurs la province d’Afrique. L’Afrique tenait, pour ainsi dire, entre ses mains le destin des empereurs ; en effet, quand le peuple romain était affamé ou oisif, il se révoltait et détrônait ses maîtres. C’était une femme qui, sous Néron, avait la première compris ou révélé ce secret d’état. Crispinilla, qui[1] avait été la première maîtresse de débauche de Néron, passa en Afrique pour faire révolter Claudius Macer, et sa première arme contre Galba était d’affamer Rome en arrêtant l’annone (l’envoi annuel du blé destiné à la nourriture du peuple). Quand Vespasien disputa l’empire à Vitellius, ce fut aussi en s’emparant de l’Égypte et de l’Afrique, les deux greniers de l’empire, qu’il chercha à détruire son adversaire (clausis annonæ subsidiis, inopiam ac discordiam hosti facturus). Non-seulement la vie du peuple romain et le repos de l’empire dépendaient des récoltes de l’Afrique ; ils dépendaient aussi des flots et des vents. Sous Claude, les vents ayant retardé l’arrivée du blé d’Afrique, Rome n’avait plus que quinze jours de vivres[2], ce qui causa une sédition. Le peuple entoura Claude, qui rendait la justice sur son tribunal, et le poussa avec des cris tumultueux jusque dans un coin du forum, où le pauvre empereur fut à grand’peine délivré par les prétoriens, qui dispersèrent la foule. Autrefois, s’écrie Tacite à ce sujet, c’était l’Italie qui nourrissait les pays les plus éloignés ; aujourd’hui, elle ne peut même plus se suffire à elle-même ; ce sont les sueurs de l’Afrique et de

  1. Tacite, Hist., I.
  2. id., ibid., XII.