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par des esclaves. La grande propriété, dit Pline, a fait la ruine de l’Italie, latifundia Italiam perdidere, parce que, substituant la grande exploitation à la petite, il arriva de là que le jour où le grand propriétaire était, ou proscrit par les empereurs, ou forcé d’aller s’établir à Byzance, ou ruiné par les incursions des barbares (et ce furent là, selon les temps, les trois causes principales de la chute de grandes familles romaines), ce jour-là, il y avait la moitié ou le quart d’une province livrée à l’abandon et à la stérilité, et la campagne romaine ne s’est jamais relevée de ce coup porté à sa vieille fécondité. En Afrique, le genre de culture du pays se prêtait fort bien à la grande propriété, car c’était un pays à blé : l’aristocratie romaine s’y fit donc aussi de vastes domaines dont le revenu était sûr, car c’était le blé de l’Afrique qui nourrissait Rome et l’Italie. Ici nous touchons à un des plus curieux rapports établis entre Rome et l’Afrique.

En agriculture comme en politique, les Romains avaient l’avantage, en Afrique, d’hériter des œuvres des Carthaginois. Carthage honorait toutes les sources de la richesse, l’agriculture comme le commerce ; et un de ses plus grands hommes, Magon, après avoir long-temps commandé les armées, revint cultiver ses champs et écrivit sur l’agriculture un ouvrage si estimé, qu’après la prise de Carthage le sénat ordonna qu’il fût traduit en latin. Rome trouva donc l’Afrique fertile et cultivée, grace aux soins des Carthaginois, non que ceux-ci eussent cherché à introduire partout en Afrique les meilleurs procédés de culture et à changer brusquement les habitudes de l’agriculture indigène. Les peuples qui veulent fonder quelque chose ne commencent pas par tout déranger. Carthage laissa aux peuples indigènes leur vieille agriculture, et elle les obligea à cultiver assidûment leurs terres, en se faisant payer en blé le tribut qu’elle leur avait imposé. Mais autour de Carthage, et dans les lieux où les Carthaginois n’avaient ni périls ni ennemis, l’agriculture était plus parfaite : c’est là qu’on suivait les préceptes savans de Magon ; c’est là que, selon sa manière fondamentale, les citoyens de Carthage venaient s’établir dans leur maison des champs, après avoir d’abord vendu leur maison de ville, afin de n’être point moitié citadins et moitié campagnards, ce qui est la manière de ne faire de bonnes affaires nulle part. Il y avait donc, en Afrique, sous les Carthaginois, en allant des côtes vers les montagnes qui fermaient l’intérieur du pays, il y avait plusieurs degrés d’agriculture, depuis l’agriculture savante des Carthaginois, jusqu’à l’agriculture plus grossière des indigènes. Mais peu à peu, et par le progrès naturel du temps, ces degrés se touchaient de plus près,