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L’AFRIQUE SOUS LA DOMINATION FRANÇAISE.

et d’Oran), elle eut soin de donner ce royaume à Juba, un descendant de Massinissa, mais élevé à Rome, un savant, un littérateur, et dont Pline l’ancien a dit qu’il fut plus célèbre comme savant que comme roi[1]. C’est ainsi que finissaient dans les loisirs de la littérature et dans une servitude parée du nom de royauté ces vieilles races barbares de la Numidie, peu à peu énervées par l’influence de la civilisation romaine.

J’ai parlé de Jugurtha : je ne veux faire sur la guerre que ce Numide soutint contre Rome, et qui fut le dernier effort de l’indépendance africaine, je ne veux faire qu’une seule réflexion. Je laisse de côté les ressemblances de tactique entre Jugurtha et Abd-el-Kader. Ce que je veux remarquer, ce sont les contre-coups que cette guerre avait dans le forum romain. J’ai souvent entendu dire à la chambre des députés, à l’occasion même de nos expéditions d’Afrique, qu’il était impossible de faire la guerre avec le genre de gouvernement que nous avons. Cette façon de discuter la justice et l’à-propos des expéditions, le talent et la conduite des généraux, affaiblit, dit-on, le ressort du commandement. Si quelques personnes ont jamais été tentées de se laisser aller à cette idée, qu’elles lisent la guerre de Jugurtha de Salluste, et elles seront bien étonnées de voir que la tribune romaine ne s’est pas fait faute d’attaquer les généraux qui commandaient contre Jugurtha, et que, loin qu’elle ait rien gâté par ses attaques, elle a servi les intérêts de la république. Jamais les partis ne furent plus acharnés qu’à ce moment. Ainsi un tribun du peuple ayant proposé une loi contre les fauteurs de Jugurtha, les patriciens voulurent éluder la loi par des délais et des ajournemens ; mais, dit Salluste[2], le peuple, avec une obstination incroyable, délibéra, vota et sanctionna la loi, séance tenante, bien plus par haine de la noblesse que cette loi menaçait que par amour de la république. Tel est l’acharnement des partis. Magis odio, nobilitatis cui mala illa, parabantur quam cura republicæ : tanta libido in partibus ! Et bien ! Ces agitations et ces violences populaires eurent un bon effet sur la guerre de Jugurtha, car, au lieu des généraux envoyés jusque-là en Afrique, et que Jugurtha achetait d’abord et battait ensuite, Rome envoya Metellus et Marius ; et quand ce dernier, avant son départ, disait au peuple[3] : « Ayez bonne confiance, Romains, dans l’issue de

  1. « Studiorum claritate memorabilior etiam quam regno. » (Pline l’ancien, 5-1-16.)
  2. Bellum Jugurth., chap. 44.
  3. Ibid., chap. 87.