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L’AFRIQUE SOUS LA DOMINATION FRANÇAISE.

d’un système administratif. De plus il faut des armes pour équiper cette armée ; de là la nécessité d’établir des fonderies, d’exploiter les mines de l’Atlas ; de là le besoin d’ouvriers et d’ingénieurs habiles ; de là enfin un perpétuel recours à l’Europe.

Le malheur pour Abd-el-Kader, et ce malheur est celui de presque tout l’Orient, c’est qu’il n’a eu pour premiers initiateurs venus de l’Europe que des ignorans ou des charlatans. L’église, quand elle envoie des missionnaires, choisit dans son élite. Je ne sais pourquoi les missionnaires de la civilisation moderne en Orient n’en sont ordinairement que le rebut. Ceux qui n’ont pas pu réussir en Occident, faute de talent ou faute de bonne conduite, vont instruire et civiliser l’Orient ; l’Europe ne donne que ce qu’elle ne veut pas. Ainsi les instructeurs des troupes régulières d’Abd-el-Kader ne sont que des soldats qui désertent par esprit de vagabondage, ou des condamnés militaires qui fuient leur peine. Avec de pareils maîtres, l’infanterie régulière d’Abd-el-Kader n’est guère instruite. Elle est bonne peut-être à la parade et pour faire la guerre aux tribus arabes ; mais, quand vient le jour du combat contre l’infanterie européenne, le Bédouin, n’ayant point confiance dans une discipline qu’il connaît mal, laisse là les manœuvres européennes, et reprend sa vieille manière de combattre. C’est à peu près l’histoire de l’infanterie régulière du roi Syphax, battant les Numides et battu par les légions carthaginoises. Même genre de maîtres : ici un centurion, qu’à Rome on traitait dédaigneusement de moitié soldat et moitié valet[1] ; là des déserteurs et des condamnés. Même résultat aussi : une demi-instruction qui vient échouer devant une instruction plus complète.

Abd-el-Kader n’a pas eu la main plus heureuse pour les ouvriers et pour les ingénieurs que pour ses instructeurs militaires. Quand, après le traité de la Tafna, Mouloud-Ben-Arach vint à Paris, comme envoyé d’Abd-el-Kader, il parvint à engager quelques ouvriers fondeurs et mécaniciens, et une sorte de contre-maître où de chef d’atelier, nommé Guillaumin, se décida, par l’appât du gain, à se mettre à leur tête. Ils arrivèrent auprès d’Abd-el-Kader ; mais les ouvriers ne savaient que la pratique de leur état, et le contre-maître n’en savait guère davantage. Or, dans un atelier de Paris ou de Londres, la pratique suffit, parce que tous les instrumens et tous les moyens de travail étant préparés d’avance, l’ouvrier peut aisément suivre sa routine. Mais, en Afrique, tout manque ; il faut suppléer à tout par

  1. Tite-Live, livre XXX, chap. 28.