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L’AFRIQUE SOUS LA DOMINATION FRANÇAISE.

tissement de l’Orient, qui semble l’œuvre réservée à notre siècle. L’Orient, en ce moment, se corrompt plus qu’il ne se civilise, car, s’il gagne quant à la civilisation matérielle, il perd chaque jour quelques-uns des élémens de sa civilisation morale. Dirai-je enfin toute ma pensée ? L’Europe assurément est assez savante pour instruire l’Orient ; mais elle n’est pas assez vertueuse pour le civiliser, et les airs de moralité que nous prenons avec ce pauvre Orient ne nous vont guère, je le crains du moins. La régénération religieuse et morale de l’Europe devrait, de bonne foi, précéder la civilisation de l’Orient ; alors nous aurions droit de nous ériger en législateurs. Enfin, je remarque dans l’histoire que, lorsque l’Orient est venu civiliser l’Occident, cela a toujours bien réussi pour deux raisons : la première, c’est que l’Orient apportait toujours à l’Occident une religion, sacra deosque dabo, dit Énée aux Latins : le culte est la forme, pour ainsi dire, nécessaire de toutes les civilisations introduites par l’Orient ; la seconde, c’est que le génie européen est éminemment propre à perfectionner et que l’Europe a toujours su élever et épurer, même pour le culte, la civilisation qu’elle recevait de l’Orient. Au contraire, toutes les fois que l’Occident, devenu fort et puissant à l’aide des dons de l’Orient, a voulu à son tour civiliser l’Orient, cela a toujours médiocrement réussi, soit que l’Occident n’ait pas en lui la vertu génératrice et qu’il n’ait que la puissance de culture et de perfectionnement, soit que la civilisation, quand il la reporte en Orient, soit déjà vieillie et épuisée ; et ce qui est curieux, c’est que la forme de la civilisation occidentale, c’est toujours la science et la politique et non la religion et le culte, l’idée de l’homme enfin plutôt que l’idée de Dieu. L’histoire de la Grèce vérifie ces remarques. Voyez les belles et grandes choses qu’a faites la Grèce avec le principe de civilisation qu’elle reçut primitivement de l’Orient ; et lorsque, sous Alexandre, cette même Grèce se mit à civiliser l’Orient, que lui donna-t-elle ? le règne des Lagides en Égypte et des Séleucides en Syrie, c’est-à-dire une époque sans force et sans vertu, où il n’y a plus de ces grands caractères qui élèvent l’histoire au ton du poème épique et la gravent dans la mémoire des peuples. Je sais qu’en parlant ainsi je contrarie l’école des publicistes qui regardent l’unité du monde grec ou du monde romain comme un grand bien, et qui espèrent pour l’Europe un avenir de ce genre. Cet avenir est possible et prochain, j’en ai peur ; mais ces grands applatissemens de l’humanité sous le même niveau ne me tentent nullement, et même il n’y a de noms dans l’histoire, sa-