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L’AFRIQUE SOUS LA DOMINATION FRANÇAISE.

cienne Calama, Ghelma. Personne, dit le docteur Wagner, ne s’attendait à cette rencontre, et ces grandes ruines jetées dans la solitude ranimèrent l’esprit de l’armée, qu’elles avertissaient d’une façon solennelle qu’avant la France il y avait eu un peuple qui avait conquis et civilisé cette terre, et qu’il n’y avait pas un coin de l’Afrique septentrionale, si stérile qu’il parût être, qui n’eût quelque monument imprévu du haut duquel Rome contemplait la France. Ainsi l’armée trouvait, pour ainsi dire, partout des témoins inattendus de son courage et de sa patience ; ainsi les Romains avaient su pacifier et organiser l’Afrique. Mais Carthage, ne l’oublions pas, avait préparé cette grande œuvre.

La France en Afrique a eu plus mauvaise chance. Les Romains, en effet, n’avaient qu’à continuer l’œuvre commencée ; nous avons tout à faire. Ils succédaient à un peuple civilisé ; nous succédons à un peuple barbare. Depuis les Vandales, qui furent les premiers destructeurs, la civilisation n’a eu en Afrique que quelques momens à peine ; mais ces trêves de la barbarie ont été courtes, et depuis le XVIe siècle surtout, depuis la fondation des régences barbaresques, l’Afrique n’a plus déchu par degrés de son ancienne prospérité ; elle a été précipitée plus profondément chaque jour dans la barbarie. C’est à cette destruction progressive que nous succédons pour l’arrêter. De là, les efforts que nous avons à faire ; de là, les difficultés que nous rencontrons. Le passé aidait les Romains ; il lutte contre nous.

Quelle que soit la différence entre l’état de l’Afrique en 1830 et son état à l’époque de la conquête romaine, essayons pourtant d’expliquer les causes et les moyens de la domination romaine en Afrique, et recherchons surtout quels sont parmi ces moyens ceux qui sont encore applicables aujourd’hui.

Quand Scipion débarqua en Afrique, il connaissait déjà le caractère de ces Numides, dont Rome allait d’abord se servir contre Carthage et que plus tard elle devait combattre sous Jugurtha. Scipion savait déjà quelle haine divisait les deux royautés numides, celle de Syphax et celle de Massinissa. Lorsque Massinissa combattait sous les drapeaux des Carthaginois, Syphax était du côté des Romains ; lorsque Syphax quitta les Romains pour Carthage, Massinissa alors quitta Carthage pour les Romains. L’histoire de Massinissa suffisait aussi pour montrer à Scipion avec quelle mobilité les tribus numides passaient d’un roi à l’autre. Cette histoire est un véritable roman[1].

  1. Tite-Live, livre XXIX, chap. 29 et suiv.