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repos de la ville, et les anciens n’ont pas dédaigné de mentionner, comme un trait distinctif des émeutes de Carthage et d’Alexandrie, la part tumultueuse qu’y prenaient les enfans[1], et ce trait, qui ne nous étonne plus, sert encore à montrer que Carthage et Alexandrie étaient vraiment des capitales, c’est-à-dire des villes où la curiosité et le goût du bruit tiennent dans les séditions plus de place que la colère et la haine.

Les loisirs de la paix eurent à Carthage l’effet qu’ils ont toujours : ils développèrent les esprits, favorisèrent les lettres et les arts et corrompirent les mœurs. Saint Augustin, dans ses Confessions, peint Carthage comme une ville pleine des plus impurs amours, et Salvien, censeur plus violent que saint Augustin qui n’accuse les autres qu’en s’accusant d’abord lui-même, Salvien représente cette ville comme l’égout des vices du monde entier, et prétend même qu’il est aussi extraordinaire de voir un impudique qui ne soit pas Africain qu’un Africain qui ne soit pas impudique. Cette licence de mœurs tenait au climat, mais elle tenait aussi au mélange des populations établies sur la côte d’Afrique. En effet, les peuples, ce qui est triste à dire, se mêlent plus par leurs vice que par leurs vertus. À côté de cette corruption, les lettres fleurissaient à Carthage, et il est à remarquer que quelques-uns des noms les plus éclatans de la littérature latine, dans les derniers temps, appartiennent à l’Afrique ; ainsi Apulée, Tertullien, saint Cyprien, Arnobe, saint Augustin enfin. L’amour et le génie des lettres, languissans et presque morts à Rome, semblaient s’être ranimés en Afrique ; et si les écrivains de l’Afrique n’ont pas la correction et l’élégance des rhéteurs de la Gaule, alors célèbres, ils ont plus de vivacité et plus d’énergie. Ils sont à la fois recherchés et forts ; recherchés, parce qu’ils parlent une vieille langue ; forts, parce qu’ils ont une véritable originalité qu’ils tiennent, les uns de leur climat et de leur génie, comme Apulée, les autres du climat, du génie et de la religion, comme saint Augustin. Ajoutons que les arts n’étaient pas moins cultivés que les lettres. Partout s’élevaient des monumens dont les ruines aujourd’hui frappent d’étonnement les soldats de notre armée d’Afrique, et je lisais dernièrement dans une histoire de l’Algérie par le docteur Wagner, écrivain allemand qui a fait, par curiosité, l’expédition de Constantine avec nos troupes, je lisais l’admiration de nos soldats, quand, marchant sur Constantine et fatigués de la tristesse de la route, ils découvrirent tout à coup les ruines de l’an-

  1. Polybe, livre XV, chap. 30.