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L’AFRIQUE SOUS LA DOMINATION FRANÇAISE.

âge de force et un âge de faiblesse. Mais comme un historien moraliste tel que Polybe ne peut guère se contenter de cette fatalité des choses humaines, il se hâte d’expliquer que ce qui faisait la faiblesse de Carthage et sa caducité, c’est que le peuple à Carthage s’était emparé du pouvoir, tandis qu’à Rome le sénat avait encore toute l’autorité, si bien que d’un côté c’était tout le monde qui gouvernait, et que de l’autre côté, c’étaient les meilleurs et les plus sages. Ajoutez que Rome avait encore toutes ses vieilles vertus, tandis que Carthage avait déjà poussé jusqu’à l’extrémité les vices de constitution sociale, l’esprit de gain, d’avarice et de vénalité. Ce que j’aime dans les historiens de l’antiquité, c’est que chaque peuple y fait sa propre destinée par ses vices ou par ses vertus ; ils expliquent tout par la morale. Cela vaut mieux que d’expliquer tout par la nécessité, et cela même est plus clair.

II. — DE L’AFRIQUE SOUS LES ROMAINS.

De tous les conquérans de l’Afrique, les Romains sont ceux qui ont eu la meilleure chance, et c’est nous qui avons la plus mauvaise. Voici ce que je veux dire.

Les Romains prirent l’Afrique des mains des Carthaginois, et ce fut pour eux un grand avantage. Le travail de la civilisation était fait ; ils n’eurent qu’à en hériter. Entre leurs mains, cette civilisation s’accrut d’une manière merveilleuse et les plus beaux jours de l’Afrique sont assurément ceux de la domination romaine. Carthage, qu’Auguste avait rebâtie (29 avant J.-C.), devint bientôt la seconde ville de l’empire, et sa prospérité ne nuisit pas à la grandeur de Rome, comme l’avaient craint ceux qui reprochaient aux Gracchus l’idée qu’ils eurent les premiers de rebâtir Carthage. Placée au milieu de la contrée de l’Afrique la plus anciennement civilisée, à l’abri des invasions des Maures et des Garamantes, cette ville jouit pendant plus de quatre cents ans d’une paix et d’une sécurité admirables ; car ce ne fut qu’en 424, et quand l’Afrique allait bientôt échapper aux Romains, qu’elle fut fortifiée. Ces jours de paix et de jouissance que Carthage partageait avec toutes les villes de l’empire romain n’étaient interrompus que par l’avarice des gouverneurs romains, et encore la province pillée avait-elle la consolation de pouvoir souvent faire condamner pour crime de concussion son préteur ou son proconsul. Parfois encore quelques courtes émeutes populaires troublaient le