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celles de la province de Constantine, des quantités considérables de grains ; c’était là une de ses principales sources de gain. De 1792 à 1796, nos provinces méridionales furent approvisionnées par les blés de la Régence. En 1829, un seul négociant d’Oran expédiait sur Gibraltar soixante-dix mille fanègues de blé et d’orge (la fanègue a cent deux litres). Ce n’est assurément pas là un pays stérile. Dans la province de Constantine, les Maures, protégés contre la concurrence des colons européens par la défense faite à ces colons de s’établir dans cette province, les Maures continuent de produire des grains qu’ils nous vendent, et de cette manière nous intéressons les populations indigènes à notre domination. C’était une des parties du système des Carthaginois.

Les Carthaginois ont eu de moins que nous deux grandes difficultés : d’abord le siége de leur domination était plus à l’est que le nôtre, et ils avaient affaire à un pays moins rude et à des peuples moins barbares, et cela est si vrai, que jusqu’ici notre domination a mieux réussi à Constantine, la plus orientale des provinces de la Régence, que partout ailleurs. De plus, ils n’ont pas eu à lutter contre le fanatisme religieux, et la différence de cultes n’envenimait point la guerre.

Quoi qu’il en soit, leur domination en Afrique a duré sept cents ans, et quand ils ont succombé, ce n’est point sous les coups des populations africaines, tant ces populations étaient affaiblies : c’est sous les coups de la fortune romaine, loin d’avoir jamais eu rien à craindre de l’Afrique, c’est à l’aide de l’Afrique elle-même qu’ils ont failli conquérir le monde, tant ils avaient su s’y créer de forces. Dans les guerres puniques, il ne s’agissait de rien moins en effet que de l’empire du monde, et Polybe proclame hautement[1] que, quel que fût des deux peuples celui qui eût vaincu, il était le maître de l’univers. La Grèce en décadence ne pouvait pas résister au vainqueur. Carthage succomba sous la puissance de Rome, non pas parce qu’elle fut attaquée en Afrique et qu’elle y était plus faible qu’ailleurs car ce n’est pas Scipion qui le premier s’avisa de porter la guerre en Afrique ; Régulus l’avait fait avant lui, et Agathocle l’avait fait avant Régulus. Carthage, selon la réflexion de Polybe, succomba parce qu’à l’époque des guerres puniques, elle touchait déjà à la vieillesse, tandis que Rome était encore dans toute la verdeur de la jeunesse, parce qu’il y a pour les états comme pour les hommes un

  1. Livre XXXVII, chap. 1.