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nouvelle, qui continue sans s’en douter heureusement, l’esprit sinon les traditions de son aînée, a pour principaux adhérens M. Aligny, M. Marilhat, M. Huet, M. Corot, M. Ed. Bertin et quelques autres.

On se souvient de l’effet de surprise que produisirent, il y a quelques années, les premiers ouvrages de M. Aligny. De la surprise on passa à l’admiration. Son fameux Prométhée fixa son rang. On retrouva dans ces ouvrages, avec des inspirations et des idées modernes, le grand goût de l’école d’Italie et de celle du Poussin. Cette manière élevée, grave, poétique, fut parfaitement comprise et acceptée, et fit école. Cette année, M. Aligny a exposé plusieurs tableaux. Le plus remarquable, selon nous, celui qui donne une idée complète de son talent et met le mieux en relief ses belles qualités, c’est sa vue de la Campagne de Rome, si mal placée dans la galerie de bois. La majesté solennelle du désert romain y est rendue dans toute sa grandeur. On y retrouve surtout cette multitude de plans se superposant à l’infini, jusqu’au plus lointain horizon, résultat de la forme du sol qui ressemble à une mer agitée par une immense houle. Un chariot chargé de foin et traîné par des buffles traverse silencieusement cette solitude. Dans ses Bergers de Virgile, M. Aligny nous a paru moins heureux. Nous y voyons une tendance à l’exagération systématique. C’est un paysage composé dans la rigueur du mot. On y admire la pureté du dessin de ces grands arbres qui entremêlent leurs immenses rameaux ; mais l’ensemble a déjà quelque chose de cette régularité apprêtée, si fatigante dans les œuvres de l’ancienne académie. Et comme on tombe du côté où l’on penche, M. Aligny doit se garder de devenir froid à force d’être pur, et insignifiant à force d’être simple. Ce dernier inconvénient nous paraît presque réalisé dans sa Vue de Capri.

Une critique analogue pourrait peut-être s’appliquer aux paysages de M. Paul Flandrin, d’ailleurs pleins de goût et de charme ; et plus spécialement encore à ceux de M. Corot.

M. Marilhat a moins de tendance au pur idéal que l’artiste précédent ; mais, quoique plus près de la réalité, il fait une grande part à l’imagination. Ses souvenirs des Environs de Beyrouth ne feront pas oublier sa magnifique Vue du Caire, qui fut pour lui un début si éclatant ; mais elle la rappelle et se soutient presque à côté. Le ton général est chaud, mais doux, la lumière abondante et riche ; les fonds sont d’une rare finesse et légèreté. Ces gigantesques pins d’Italie sous lesquels reposent quelques Arabes avec leurs dromadaires, sont d’une tournure et d’un jet admirables, et dans ces aloès, ces